Introduction aux Sciences Occultes (1) 

Docteur Roger FRÉTIGNY 


— Préface — 

Le présent ouvrage répond à un besoin évident, et ce besoin a été créé par un concours de malentendus sur lesquels il est temps de jeter une vive lumière. Tel qu'il m'apparaît au travers des notes denses que Marianne Verneuil a bien voulu me soumettre depuis plus d'une année, L’Encyclopédie Ésotérique procède d'un esprit qui lève bien des équivoques, et c'est son grand mérite, car la première et la plus regrettable équivoque est entretenue par la notion même d'occultisme.

On pouvait évidemment conserver le vocable lui-même, puisque ce mot d'occultismeest consacré par l'usage, et correspond, dans la pensée générale, à un ordre de faits bien spéciaux — sinon bien définis — de faits qui précisément posent à l'esprit des questions primordiales. Mais il faut savoir que la notion d'occultisme est hybride et inadéquate. Née du mouvement de réaction opposant, à la fin XIXe siècle, des poètes de la Tradition à des savants dédaigneux de toute métaphysique, la notion d'occultisme porte les marques de cette naissance : devant une science qui veut supprimer tout mystère et toute idée de mystère, l'occultisme s'est dressé pour sauvegarder les droits de la confusion et de l'obscurité, au nom de « grandes vérités qui ne sauraient être dévoilées ». Non seulement cela est enfantin, mais procède réellement d'un infantilisme, en ce que la pensée « occultiste » trahit une régression, fixation par angoisse devant le destin inéluctable de la pensée claire.


(1) Nous avons cru devoir, en notes, indiquer au cours de cette introduction les articles de l’Encyclopédie Ésotérique susceptibles d’illustrer la pensée de l’auteur (M.V)


Assurément, l'occultisme n'est pas né par hasard vers 1880. Il a accompli sa mission historique en s'opposant à un rationalisme primaire tout aussi insupportable ; il a restauré le goût des études traditionnelles ; tout en le trahissant souvent, il a redonné une vitalité nouvelle au symbolisme. Aujourd'hui il est temps de démembrer son empire. Il faut étudier, en des sections à part, des faits naturels et qui ne sont que cela, des lois de la nature inapparente, des connaissances généralisâtes dont le symbolisme est l'occasion, et, enfin, l'hermétisme, dont il nous faudra définir la notion. L'occultisme a enveloppé le tout d'un manteau de confusion, on a vécu de la sève millénaire des sources vives ainsi cachées. Mais il faut souligner que
 l'occultisme est le manteau de confusion, et non ce qu'il cache.


Ce point précisé en élucide beaucoup d'autres, aussi consacrons-nous à le préciser toute la première partie de notre développement. Avant même de l'aborder, avant même d'exposer quelle est la démarche générale de cet exposé, il faut régler la question soulevée par le terme même d'occultisme, au point de vue vocabulaire. Il est ridicule de décrier la légitimité d'un mot, et de continuer à s'en servir. Ici pourtant le mot occultisme s'impose, en premier lieu parce qu'il figure dans le titre de l'ouvrage — ce qui peut s'expliquer d'un tout autre point de vue — et en second lieu parce que provisoirement nous n'en avons pas d'autre pour le remplacer, au sens très général que lui suppose le développement étendu de ce dictionnaire. Dans ces conditions nous avons pensé que le mieux était, jusqu'à nouvel ordre, de parler d' « occultisme » — en priant le lecteur d'avoir toujours présent à l'esprit que les guillemets constituent un avertissement permanent.

Préciser ce qu'est l'occultisme, tel est donc le premier objectif. Le deuxième est de savoir si l'on ne s'abuse pas lorsqu'on parle de « sciences occultes » — et la question se pose doublement, puisque l'occultisme a été historiquement une réaction contre la science positive, et puisque les occultistes eux-mêmes ont parlé de telles sciences. Il ne semble pas, au premier regard, que la science telle que nous l'entendons puisse cultiver ce goût du mystère qui fait le fond de l'occultisme... Bref, là aussi, une mise au point est nécessaire. Après quoi il nous sera possible d'aborder, avec quelques idées claires de références, la question de l'inventaire des « sciences occultes ». Plusieurs disciplines indépendantes ou connexes se partagent leur vaste champ : nous essaierons de comprendre comment s'articulent leurs territoires respectifs.

Alors, et seulement alors, il deviendra possible de situer chaque objet d'étude — éventuellement de considérer chaque objet de plusieurs points de vue différents, sans qu'il en résulte de confusion. Car les notions du domaine « occulte » ont des acceptions aussi multiples que déconcertantes, du fait qu'elles prennent une physionomie différente d'un plan à l'autre : voici Mercure dont parlent en termes différents les astrologues, les psychologues, les alchimistes, les chiromanciens, les chimistes, les mythologues... Est-ce le même ? Oui et non. En tout cas il faudrait le préciser.

Maints textes confus, qui encombrent la « littérature occultiste » mêlent inconsidérément les attributs du Dieu aux pieds ailés, les caractéristiques de la planète qui porte son nom, les traits psychologiques du type dit mercurien, les propriétés chimico-magiques du métal des alchimistes, etc. Encore que tous ces rapprochements procèdent d'une analogie intéressante, le lecteur, non initié, se sent, du fait de leur accumulation désordonnée, glisser dans un océan de polyvalence gratuite et confuse (1). Sa réaction la plus saine est de rejeter en bloc ce magma désespérant pour l'intellect. Le danger est d'ailleurs encore bien plus grand quand le lecteur, sensible au contenu poétiquement authentique du magma, s'y laisse dissoudre, en plein brouillard. — Avoir fait l'inventaire des différents plans de « occultisme » c'est déjà éviter beaucoup de confusion et se donner des chances de saisir les continuités qui les relient.

(1) Pour éviter l'écueil signalé ici, nous avons présenté en articles séparés ce qui correspond aux diverses acceptions d'un même symbole (ex. : Mercure planète, Mont de Mercure en Chiromancie, type mercurien en typologie, etc.). (M. V.)

Ces précisions et précautions liminaires, outre qu'elles sont nécessaires à la bonne compréhension d'un dictionnaire comme celui-ci, sont tout aussi utiles à l'examen de tout autre document touchant les « sciences occultes » ou conjecturales. Mais pour que la lumière soit complète, il ne suffit pas d'avoir délimité les domaines respectifs des sciences « occultes » ; il faut encore comprendre comment ces domaines s'articulent avec l’ensemble des connaissances humaines. Ce sera le quatrième et dernier point que nous examinerons. Ce point est extrêmement important dans la mesure où, de plus en plus, l'homme se pose en principe et se propose en idéal d'être conséquent avec lui-même. Le rationalisme, le positivisme et la science, accidents minuscules à l'échelle de la millénaire évolution humaine, auront au moins eu cet avantage de nous rendre exigeants quant à la cohérence de nos conceptions. Le fait, c'est que l'homme moderne ne peut plus tolérer la coexistence de deux domaines de pensée qui ne s'articulent pas entre eux. Aussi convient-il d'intégrer les faits « occultes » dans l'ensemble des faits, et leur connaissance dans l'ensemble des connaissances.

En un mot, nous répondrons de notre mieux aux quatre questions préalables suivantes :

1) En quoi consiste l'occultisme ?

2) En quoi les sciences occultes sont-elles des sciences ?

3) Comment s'articulent et se distinguent ces différentes sciences ?

4) Quelle est la place des sciences « occultes » dans l'ensemble des connaissances humaines ?

C'était le meilleur préliminaire à donner au dictionnaire de Marianne Verneuil, car si l'homme moderne a besoin de clarté, s'il est habitué à ce qu'on lui présente des explications simples, il ne peut éviter qu'un dictionnaire fournisse des explications sous une forme morcelée. Une position générale des problèmes soulevés par « occultisme » ne pouvait y trouver sa place que sous forme d'une partie substantielle et indépendante. Si, enfin, l'homme moderne est depuis longtemps habitué aux points de vue positifs matérialistes en matière d'explication (2) il sent aussi que les sciences officielles n'épuisent pas la totalité des réalités profondes qu'il perçoit en lui et hors de lui.

(2)
 Voir l'article Spiritualisme dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).


En aucune époque de l'histoire moderne et contemporaine, l'homme d'Occident n'a peut-être ressenti avec autant d'acuité combien la réalité obéit à des facteurs irrationnels, combien le sort des individus et des peuples est tributaire de forces que personne n'est capable de définir ni de gouverner. Plus l'homme semble avoir dompté la nature, et plus le conditionnement de son destin semble lui échapper. Par ailleurs, la psychanalyse est venue, en son temps, montrer combien de forces cachées sont en nous (1) et aussi combien ces forces en nous procèdent de forces cosmiques symbolisées depuis toujours par des mythes, que dans notre simplicité nous avions pris pour des fables.

(1)
 Voir l'article Rêves dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).


Certes, ce n'est pas à un volume unique qu'on peut demander de jeter sur la structure occulte de l'univers une lumière définitive. Quelques éclairs seraient déjà d'intérêt appréciable, si l'on ajoute aux aperçus que découvrent les éclairs les incendies qu'ils peuvent allumer. Nous souhaitons personnellement que le dictionnaire de Marianne Verneuil allume beaucoup de flambeaux, suscite beaucoup d'imitateurs et de « complémentateurs », qu'il fasse naître chez les gens sérieux un désir aigu de reconsidérer ce qui avait été rejeté et méconnu. Par-dessus tout, nous lui souhaitons de désappointer les amateurs de mystère-à-tout-prix ; et c'est dans l'esprit de ce souhait que nous abordons maintenant les questions primordiales de l'occultisme ».


Suite ⇒ Chapitre I. - En quoi consiste l’Occultisme