— Chapitre I. — 


En quoi consiste l’Occultisme
 

Occulte signifie caché. Une force occulte est une force qui n'est pas visible. A ce titre, l'énergie nucléaire, les intérêts moraux, sont des forces occultes. On peut même dire que dans la nature nous sommes entourés de forces et de faits occultes.
Ce que nous voyons ne représente qu'une partie infime à côté de ce qui nous échappe (les remous de la conscience collective, l'électricité atmosphérique, la vie des grands fonds sous-marins, ce que pense notre voisin, les forces qui font germer les graines, celles qui nous poussent à aimer les uns et pas les autres, les éléments du charme, du génie, du sex-appeal, de la beauté, les origines et les destins du monde, les raisons ignorées aujourd'hui et qui conditionneront l'actualité de demain... )
 

Même dans ce qui est visible et « expliqué » comme la lumière électrique, tout nous est à peu près inconnu : nature du courant électrique, mode de transmission de ce fluide hypothétique dans le filament, mécanique par laquelle les rayons lumineux, frappant les cônes et bâtonnets de la rétine, suscitent la création d'un « influx » nerveux dont nous ignorons la nature et que personne n'a jamais vu, mécanisme par lequel cet influx devient image psychique..., etc.

Assurément, à la connaissance de ce qui nous entoure, la science substitue des hypothèses ingénieuses. Elle donne des noms aux choses hypothétiques et les simplistes sont satisfaits. Ils ne s'étonnent même pas de ce que la science doit changer la définition de ses corpuscules et radiations tous les cinquante ans. Mais le fait brut est que ce que nous connaissons — au plein sens du mot — se réduit à bien peu de choses. La Nature est foncièrement occulte, et, s'il fallait ranger dans « occultisme » tout ce qui nous est caché, il faudrait y comprendre non seulement la métapsychique, l'imagination créatrice et tes lois mathématiques de la probabilité, mais à peu près toutes les sciences.

Faut-il, dès lors, pour définir l’ « l'occultisme », opposer naïvement les faits et phénomènes admis par les académies et considérés par la pensée scientifique, et les faits non admis par les académies et non considérés par la pensée scientifique ? C'est là un artifice de classification souvent invoqué par les occultistes eux-mêmes, mais une telle définition ne résulte absolument point de la nature des choses.


Elle n'a qu'un mérite, c'est d'opposer le domaine «» ainsi défini au domaine scientifique, par le fait que le contenu du premier nous déconcerte par rapport à ce que nous savons du second. Comme le second est, autant que possible, rationalité et cohérence, « occultisme » serait un domaine sans logique ni unité... Et cela n'est pas tout à fait vrai non plus. Pour saisir la logique des choses cachées, disent les « occultistes », il faut une longue initiation. C'est vrai, mais encore une fois cela ne constitue pas un caractère différentiel, puisqu'on parle aussi d'initiation scientifique.


Encore qu'on puisse difficilement mettre l'une et l'autre initiation sur le même pied : alors que l'initiation scientifique est assurée par des cadres enseignants patentés par l'État, l'initiation aux choses « occultes» est tributaire de maîtres au détail, de vrais et de faux d'ailleurs, puisque aucune autorité reconnue n'en vérifie la valeur. Ces derniers, contraints d'agir en marge, se trouvent auréolés du prestige du mystère, ainsi que les faits qu'ils étudient.


On a même tendance à croire que cet état de choses consacre un principe formel, à savoir que non seulement les faits « occultes » échappent au sens commun, mais encore qu'ils sont cachés par ceux qui en détiennent ou disent en détenir le secret. Ce secret volontaire est encore un des côtés douteux de l'occultisme, nous y reviendrons.

Assurément la science comporte une initiationconsidérons la physique moderne ; c'est une science extrêmement complexe, qui exige des connaissances mathématiques supérieures, une pratique du laboratoire et des habitudes de pensée déterminées. Le profane n'est absolument pas à même de comprendre la pile atomique, ni à
fortiorid'en utiliser les propriétés. Il serait imprudent de laisser du radium à sa portée, parce qu'il n'a même pas une idée précise des manières de s'en protéger efficacement, ni des accidents qu'il peut provoquer. On n'autorise les physiciens à s'approcher de la bombe atomique d'un peu près que dans la mesure où on les juge d'une part assez compétents et d'autre part moralement équilibrés.

A ce titre la physique nucléaire est une science occulte au bon et au mauvais sens du mot. Les sciences exigent une très sérieuse et très progressive initiation : pour comprendre
l'univers courbe d'Einstein, il faut dix ans d'initiation aux mathématiques sous la conduite de maîtres qui ont eux-mêmes consacré vingt ou trente ans de leur vie à l'étude de cette science.
Le temps d'initiation n'est donc pas ce qui caractérise les sciences «occultes» ; le secret non plus d'ailleurs : essayez donc d'aller trouver dans son laboratoire un grand physicien contemporain et demandez-lui de vous expliquer la désintégration de l'atome... sauf dans le cas précis où vous seriez vous-même un très grand savant, il y a bien des chances pour qu'il vous éconduise purement et simplement.


Plus typiquement encore : essayez d'assister à une séance de la Société Française de Mathématiques et voyez si on vous laissera entrer dans l'amphithéâtre ! Est-ce à dire que les savants cachent leurs secrets ? Non mais il y a des choses qu'on n'explique pas à n'importe qui, ni en moins de trois ans et en commençant par le commencement. Telle est la vérité qui est toute simple.

Par parenthèse, et à ce propos, il est amusant de constater que les hommes de science donnent volontiers leur avis définitif et sans appel sur les sciences « occultes » après un examen d'une heure ou deux alors qu'ils supportent mal l'avis de poètes sur la physique ou la biologie. Bref, les sciences « occultes » et les sciences positives sont complexes. A cela, elles doivent l'une et l'autre de vivre dans un certain secret et de n'être abordables que par une initiation. Mais est-ce bien de ce secret-là et de cette initiation-là qu'il s'agit ? N'est-ce pas précisément dans la mesure où ces deux dernières notions ont un autre sens en « occultisme », que le domaine « occulte » a une spécificité ? Mais alors en quoi consistent le secret et l'initiation « occultes » ?

Faisons d'abord justice d'un racontar colporté par tous les vulgarisateurs à bon marché, à savoir que les sciences occultes le sont, parce que les secrets des initiés, livrés au public, seraient trop dangereux. C'est une explication pour sourds-muets-aveugles. Les grands secrets se gardent d'eux-mêmes on peut bien laisser traîner dans la rue, ou même afficher sur les murs la formule chimique d'un explosif nouveau... personne ne saura le préparer, qu'un chimiste. Les médecins légistes peuvent publier tranquillement dans les Annales de la Médecine Légale le fruit de leurs recherches sur les traces laissées par les poisons ; il est évident que seul un médecin peut mettre ces renseignements à profit, quant aux individus dépourvus de culture médicale, la lecture des
Annales de la Médecine Légale ne leur apprendra rien.

Si les secrets de l'hermétisme avaient vraiment le pouvoir explosif qu'on leur suppose, s'ils ne restaient cachés que par la bonne garde qu'on monte autour d'eux, il y a belle lurette que les réseaux d'espionnage et de police politique en seraient venus à bout et les auraient mis dans les arsenaux. Du point de vue du bon sens le plus élémentaire, il faut donc admettre qu'essentiellement, nous l'avons dit, les plus grands secrets se gardent d'eux-mêmes.


On peut même avancer qu'en soi, l'hermétisme, comme les sciences dont nous montrions plus haut les difficultés d'accès, est ouvert. Nous voulons dire par là que n'importe qui a le droit de devenir médecin légiste, n'importe qui a le droit de devenir physicien de l'atome, n'importe qui a le droit de devenir hermétiste. Tout le monde ne le peut pas, et c'est une autre affaire ; mais en soi, le domaine des grands secrets est accessible, largement accessible.

Que d'autres temps aient sanctionné la sauvegarde des grands secrets par des dispositifs divers, c'est vrai, et cela s'explique, d'une façon différente pour chaque cas d'ailleurs. Ici, l'état de développement de la civilisation ne justifiant que de la distinction du sacré et du profane, toute vérité tendant à réduire les deux ont été un ferment de dissolution sociale. Ailleurs, l'ignorance générale justifiait le secret pour parer aux risques de déformation dont la transmission écrite nous sauvegarde désormais dans une certaine mesure.


Ailleurs encore, ce sont les persécutions qui justifient le soin jaloux des initiés à cacher ce qu'on n'aurait pas manqué de déformer et de détruire. Quand l'occultisme est né sous sa forme moderne, c'est-à-dire à la fin du XIXe siècle, les persécutions religieuses n'étaient pas tout à fait éteintes, mais leur acuité avait tout de même assez baissé pour qu'on ne fasse pas du secret la base même du domaine « occulte ».

Voilà pourquoi, en fin de compte, nous sommes partisans de laisser « occultisme » à ceux qui ont le goût du secret, et de ne considérer que la pensée hermétique pour la situer aussi précisément que possible. Centralement, l'hermétisme n'est pas une spéculation intellectuelle, mais une pratique. De même qu'en lisant un formulaire de chimie, on n'est guère plus apte, après en avoir achevé la lecture, à préparer le produit le plus simple, de même en absorbant toute la littérature d'occultisme, on est à cent lieues de soupçonner en quoi consiste l'hermétisme qui est une ascèse.

L'ascèse est tout bonnement un chemin de progrès pratique. Chacun sait qu'il ne suffit pas d'apprendre par cœur un manuel ou un traité de Culture Physique pour acquérir une musculature ou connaître la sensation très spéciale que procure le saut à la perche ou le plongeon. Or l'ascèse hermétique est dans le domaine psychique comparable à l'ascèse
(1) sportive dans le domaine physique. L'une apprend à vivre et à penser autrement, l'autre apprend à sentir et à respirer autrement.

(1) L'ascèse est une discipline volontaire du corps et de l'esprit cherchant à tendre vers une perfection

Quels schémas, quels textes pourraient rendre compte de ces états nouveaux, de ces dé couvertes faites avec toute la personne ? Celui qui a pratiqué le saut en parachute peut se multiplier en explications, en comparaisons... jamais son auditoire ne saisira la plénitude étrange de la petite seconde du saut hors de la carlingue. Seul celui qui a pratiqué est enrichi. Celui qui a expérimenté la bilocation (2)apprend bien des choses sur sa propre structure... et personne ne peut bénéficier de son enrichissement en écoutant son récit. C'est en cela qu'une ascèse comporte son secret : ceux qui possèdent le secret aimeraient quelquefois le communiquer... hélas ! Il n'y a pas de mots pour cela. Alors ils forgent un langage comparatif, mais pour intéressant que soit ce langage, il est par nature lettre morte.

(2) Voir au mot Dédoublement dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).

A partir de la lettre morte des systèmes hermétiques, tels qu'on les voit de l'extérieur, se trouve une vérité incommunicable que seule la pratique personnelle peut restaurer. Alors, et seulement alors, le système qui avait été un guide abstrait devient un tableau vivant. Voilà en deux mots où se situe le côté « occulte » de l'hermétisme.

Connaître la lettre morte des systèmes, c'est bien. Savoir que les Écoles et les Codes se sont succédé de telle et telle façon, sous telles et telles influences, c'est bien. Saisir par bribes la logique qui préside à tout cela et construire des hypothèses pour l'expliquer, c'est bien. Mais qu'est-ce que ce savoir à côté du progrès humain dont il n'est que la caricature ? Savoir n'est rien. Vivre et progresser compte seul. Si les vieux savants sont un peu tournés en ridicule par la société, c'est qu'ils ont précisément accumulé le savoir sans avoir augmenté en rien leur valeur humaine. Un vieux chimiste vit comme un vieil épicier, et souvent beaucoup plus mal, humainement parlant.

L'hermétisme est en fin de compte l'ensemble formé par un progrès intérieur, le ou les systèmes de notions qui symbolisent ce progrès intérieur, l'impossibilité dans laquelle on se trouve de comprendre, depuis l'extérieur, l'ensemble des connaissances de tous ordres que suppose l'ascèse ou qui en résulte, etc...

L'occultisme, lui, est la considération toute théorique de ce que, de l'extérieur, rien ne peut se comprendre ; il ajoute pour son compte mille spéculations littéraires et toutes sortes de complications fantaisistes. Enfin, à la faveur de la grisaille de son ciment, il agglutine tous les systèmes dont la science n'a pas voulu, toutes les superstitions érigées en monuments ésotériques et tous les mystères procédant de problèmes depuis longtemps périmés.

Nous ne croyons pas possible de situer mieux, pour le moment, le domaine des faits « occultes ». Cette première approximation nous suffit, en tout cas, à comprendre à quel titre la chirologie, la voyance, l'alchimie, et cent domaines aussi disparates sont compris sous leur rubrique, alors que l'ascèse elle-même, quel que soit son mode, constitue l'axe valable de tout ce bazar oriental. Si donc il est possible de préciser quelque chose, précisons cet axe.

L'ascèse hermétique est plus communément appelée Initiation et nous avons essayé de faire saisir quelles différences existaient entre l'initiation scientifique qui est un gavage ordonné, et l'Initiation qui est progrès intérieur appuyé sur la connaissance. Cette connaissance n'est pas donnée au départ, puisqu'elle doit être au contraire acquise par l'Initiation. Cette dernière doit donc être guidée par une personne possédant déjà la Connaissance. C'est là qu'intervient le Maître (le gourou de la Tradition Orientale). La transmission par un maître n'est pas propre à l'hermétisme ; elle est le fait de toutes les disciplines comportant une pratique, de l'ébénisterie au jardinage, en passant par l'art culinaire. Ce n'est donc pas l'intervention d'un guide qui constitue le caractère spécifique de l'Initiation hermétique.

Une dernière série de précisions achèvera de nous mettre les idées au clair, concernant l'Initiation. En premier lieu il faut savoir que l'hermétisme n'est pas un chemin, mais un domaine plein de chemins ; c'est un monde dans lequel toutes les disciplines offrent à considérer un certain parallélisme, mais n'en constituent pas moins autant de voies différentes. On peut même dire qu'il y a autant de voies que d'individus. Cela tient à ce que la libération progressive de l'individu suppose la liquidation de tous les problèmes posés par son
Moi particulier, que ces problèmes ne sont donc jamais tout à fait les mêmes d'un individu à l'autre (1).

(1) Voir l'article Ego dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).


En second lieu l'ascèse hermétique est l'entreprise centrale, dans un monde de la connaissance que figure schématiquement la pensée symbolique et analogique. La stricte considération des symboles et des analogies, nous l'avons vu, ne restitue aucunement le côté vivant et plein de la connaissance puisque celle-ci procède non d'un savoir, mais d'une expérience vécue. Toutefois les symboles, parce qu'ils sont fidèles, sont des substituts authentiques du Réel. Le fait qu'ils se correspondent à l'infini par voie d'analogie permet de les considérer comme un remarquable outil de pensée et de découverte. Mieux : quiconque s'astreint à les pénétrer, à vivre leur vie sur le plan mental d'abord, puis sur un plan de plus en plus profond, retrouve des échos légitimes du Réel.

Cela, c'est la petite ascèse, celle que les « occultistes » prennent souvent pour la grande. Au nom des liens d'analogie, hélas ! On voit aussi commettre les pires abus d'interprétation et c'est là un autre aspect de la trahison « occultiste » ; parce que les faits « occultes » sont complexes, parce qu'ils ne sont pas tous objets de mesure, ils sont, en bien des points, livrés à l'interprétation individuelle. Cela ne serait rien si les « occultistes étaient tous géniaux, si tous les « occultistes » avaient l'esprit rigoureux, si tous étaient débarrassés du goût du mystère, si par surcroît les vulgarisateurs imbéciles ne pullulaient pas aux abords de la source généreuse. Hélas ! Les hommes de grande valeur sont rares ; dans ce domaine comme dans les autres, leurs productions discrètes sont noyées dans le torrent des élucubrations des faiseurs de discours et de livres.


Lorsqu'on commence à étudier l'occultisme, on perd des années à trier le grain parmi l'ivraie. Il faut dégager chaque mot, chaque proposition, des erreurs de traduction, des erreurs d'interprétation, des additions fantaisistes, ou des adultérations que se sont permis celui-ci pour les besoins de la morale, cet autre par égards pour le dogme, celui-là pour que l'histoire soit plus belle, ce dernier parce qu'il n'a rien compris. Aussi faut-il non seulement un certain taux de patience et de curiosité, mais aussi une santé et une culture solides pour venir à bout de toutes les complexités artificielles. Après quoi on en arrive à des complexités réelles qui ne sont pas encore celles auxquelles il faudra s'attaquer lors de l'étude proprement dite.

Celles-là sont inhérentes aux changements d'état de la pensée humaine. De même que la glace devient eau et l'eau vapeur quand la température augmente, la pensée humaine mythique devient symbolique puis objectivo-rationnelle avant d'être objective, puis intuitive et participante. Lorsqu'on apprend de la Tradition que telle chose a été dite et tenue pour vraie, il faut préalablement régler la question de savoir dans quel sens elle a été dite.

En cela, nous ne procédons pas autrement que ne fait la personne à qui l'on rapporte le propos suivant : « Mme N. est vilaine ! » Si ce propos émane originairement d'un chroniqueur féodal, cela signifie qu'elle n'est pas noble. S'il émane d'un enfant de quatre ans, cela signifie qu'elle l'a contrarié. S'il émane d'un homme de son entourage, cela signifie qu'il ne lui trouve pas de beauté physique. Si cela émane d'une de ses amies, cela veut dire que ladite amie est malveillante.

L'occultisme charrie des préceptes, des règles, des formules, des assertions émanant pêle-mêle de génies ou de minus, de la Haute Antiquité égyptienne ou du Moyen Age chrétien, de l'Extrême-Occident ou de la Chine la plus reculée, de gens n'ayant ni la même culture, ni la même forme de pensée que nous, ne prenant pas les choses dans un sens comparable à celui dans lesquelles nous les prenons. C'est-à-dire que pour comprendre ce que la Tradition nous transmet, il faut procéder à une interprétation très savante, et cette interprétation exige une somme de connaissances psychologiques, historiques et linguistiques assez considérables.

Outre les connaissances qu'exige l'interprétation brute du message de la tradition, la transposition s'opère grâce à tout un autre ensemble de données symboliques et analogiques dont la psychanalyse contemporaine donne une clef, ou tout au moins à travers lequel elle constitue une filière.

Établir finalement des clefs de transposition valables, tel est le travail primordial de l'hermétiste. Ce travail, qui suit immédiatement la documentation proprement dite, constitue une tâche à laquelle la pensée moderne s'est attachée depuis peu de temps, avec méthode. Toutefois, les résultats acquis sont minimes, parce que dans les entreprises d'équipe les choses sont considérées par le dehors. L'homme avide non de savoir et de comprendre, mais de connaître et de se transformer va plus loin et plus vite parce qu'il assume le contenu substantiel des éléments qu'il découvre.

Bref, la nécessaire transposition des données traditionnelles suppose déjà une conscience à la fois évoluée et éclairée en même temps qu'un savoir quasi encyclopédique. Faute de réunir ces éléments indispensables, les gens-de-bonne-volonté nagent dans l'approximation la plus intolérable. De plus, comme nous l'avons dit, les vulgarisateurs, les gens de mauvaise foi et les imbéciles, qui sont quelquefois les mêmes, noient le tout dans le galimatias. La Tradition charrie à la fois ses coffrets pleins, les clefs destinées à les ouvrir, et, dans un torrent de boue, des caricatures de coffrets sans clef et des clefs sans coffrets. Dans ce déluge, le profane décèle à tout coup les faux trésors, parce qu'ils sont plus volumineux et plus spectaculaires ; de temps à autre, il découvre une fausse clef bien ornementée, et entreprend alors de modeler le monde sur cette babiole.

Comme en matière d'art ou d'antiquités ou de philosophie, il faut une longue pratique et une grande science pour distinguer le vrai du faux, l'authentique du truqué, l'original du reconstitué. Par surcroît, le charme de l'authentique n'apparaît qu'à ceux dont la formation est profonde, dont la personnalité tout entière a longuement subi l'empreinte des valeurs réelles.

L' «occultisme» est donc dans le domaine de ce qui n'est pas accessible sans travail intérieur. Sans ce travail intérieur, fruit de l'ascèse hermétique, « occultisme » apparaît effectivement au non-initié comme un domaine caché, un peu maudit et, par surcroît, rationnellement incompréhensible. Par le jeu des circonstances et de la sottise humaine, il se trouve en fait que l'occultisme ainsi dénommé comporte la justification de sa mauvaise réputation.

Tel est le premier bilan de cet exposé, qui a, croyons-nous, situé aussi nettement que possible l'occultisme par rapport à l'hermétisme. Reste à situer les deux par rapport à l'ésotérisme dont nous n'avons encore rien dit. L'ésotérisme s'oppose, on le sait, à l'exotérisme, ce dernier nom étant réservé aux explications qu'on donne aux non-initiés. L'ésotérisme, au contraire, désigne le sens intérieur et profond, celui qu'un maître ou qu'un temple ou qu'une école révèle seulement aux adeptes.


Les précisions et distinctions que nous avons essayé de mettre en lumière précédemment vont nous aider à comprendre que l'ésotérisme ne se caractérise pas par le fait de cacher des vérités à la foule de ceux qui ne sont pas admis dans le Saint des Saints. Plus justement, on peut dire qu'un homme donné, digérant une à une les grandes vérités traditionnelles, opérant peu à peu son évolution philosophique et psychique, finit par découvrir le sens ésotérique d'un texte ou d'une doctrine ou d'un enseignement. Le sens ésotérique n'est pas caché, mais, seuls le saisissent ceux qui ont accédé au plan des Réalités plus substantielles.

Tous ces points étant fixés, nous pouvons poser une question cruciale : Pourquoi et en quoi le domaine dit occulte est à la fois sacré et maudit ? Est-ce parce que ce sont là les attributs traditionnels du mystère ? Est-ce un fait de superstition collective ? Ou au contraire, est-ce fondé dans la nature des choses ? L'Univers réel est vie infinie, insaisissable par la seule pensée conceptuelle. Il est déroulement pur et échappe aux humaines contingences de la Raison et de la Morale. Sa substance semble structurée parce que la pensée est structurée et si le mode analogique de structure semble lui correspondre mieux que le mode rationnel, c'est qu'en nous les catégories analogiques sont plus fondamentales. En étudier les applications, c'est déjà se trouver loin sur le chemin qui mène à l'appréhension directe du Réel (intuition cosmique de Jung).

A partir du moment où l'homme a pensé rationnel, ou simplement conceptuellement, ce qui était un stade d'acheminement, rien ne pouvait faire qu'il n'en arrive pas un jour à penser analogiquement, puis intuitivement. Telle est la pente savonneuse au haut de laquelle l'Eternel a placé Adam. Mais, comme Il le dit Lui-même à Moïse, il est interdit de voir Sa Face sous peine de mort. C'est-à-dire que le moi, engagé sur la pente qui mène à la Connaissance, ne peut y accéder qu'en éclatant. Les religions sont des projections collectives. La peur panique de perdre son moi s'y est projetée sous la forme d'Interdits, que les clergés, c'est leur raison d'être, ont cristallisés en dogmes. Dieu face à Face, c'est précisément la découverte du Réel et la destruction du moi, alors que les interdits qui le protègent règnent non seulement dans les religions mais dans l'inconscient collectif, qui est leur fondement.

L'ascèse hermétique, comme toutes les ascèses, mène à la Participation au Réel par la destruction progressive du moi. Parce qu'elle mène au Face à face avec Dieu, elle est sacrée, et cela explique que tous les rituels (catholique compris) aient indu une large part de magie
(1). Mais parce qu'elle mène au Face à face avec Dieu, elle est justiciable de l'Interdit et de la Malédiction qui en est le corollaire. Sur un plan plus terrestre et plus concret, il se trouve que la zone limite entre les superstructures analogiques et les infrastructures du Réel fait connaître à l'homme la parfaite contingence de la Morale et de la Logique théologique. C'est pour les autorités religieuses et sociales une autre raison de discréditer, de poursuivre et de maudire l'hermétisme (2).

(1) Voir aux articles : Bénédiction, Exorcisme, Extrême-Onction dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).
(2) Voir au mot Verbe (dans L’Encyclopédie Ésotérique) cette idée y est exprimée sous une autre forme (M. V.).


L'occultisme a donc bien des chances de rester occulte longtemps et l'hermétisme de demeurer maudit. Du moins faut-il se résoudre à penser que la notion d'occultisme disparaîtra le jour lointain où la conscience collective parviendra à un plan de participation libéré d'interdits et que la notion d'hermétisme sortira de ses cachots le jour, lointain, où les sciences de l'homme arriveront au fond de l'impasse positiviste. Présentement, il faut peut-être se réjouir de ce que le discrédit, les interdits, les obscurantismes et la sottise constituent une enceinte solide autour du Trésor Très Véritable.

Si nous avons déçu le lecteur en ne fixant pas, de l'occultisme, de l'hermétisme et de l'ésotérisme, de véritables définitions, c'est que ces dernières ont leur place dans le dictionnaire et non ici (3). Par ailleurs il est bien évident que nous n'aurions pas consacré à ces trois notions d'aussi longs développements si trois définitions avaient suffi. Nous proposerons plutôt, en conclusion, une définition corrélative de cette triade notionnelle.

L'occultisme est le nom que donnent les profanes à un mélange contenant, avec beaucoup d'adultérations lamentables, les rudiments schématisés des pratiques hermétiques, telles du moins qu'elles apparaissent non pas dans leur esprit, mais à la lettre, le sens ésotérique de l'hermétisme ne pouvant nécessairement être saisi que par ceux qui le vivent. Pour les profanes, le mot occultisme traduit donc, et c'est conforme à son sens étymologique, ce qui est caché au commun ; en effet, la substance valable des faits et notions d'occultisme est impénétrable :

1°) A ceux qui n'en sont pas au niveau de conscience requis,

2°) A ceux qui n'ont pas acquis par une culture appropriée le maniement des complexités de ce domaine,

3°) A ceux qui n'ont pas une culture générale suffisante pour restaurer le sens initial des messages authentiques,

4°) A ceux qui ne savent pas distinguer ces derniers des monceaux de sottises dont on les a alourdis au cours des temps,

5°) A ceux qui par peur et pauvreté cherchent le mystère et non la réalité, l'occasion de se rassurer et non l'occasion de risquer, l'acquisition des pouvoirs et non le détachement.

(3) En fait, et le lecteur nous comprendra certainement, nous n'avons pas cru devoir reprendre la définition de termes qui font l'objet d'un texte aussi clair (M. V.).

 

Suite ⇒ Chapitre II.
En quoi les Sciences Occultes sont-elles des sciences ?