— Chapitre II. — 


En quoi les Sciences Occultes 
sont-elles des sciences 

 

Sans entrer dans les nombreux problèmes philosophiques que pose la définition de la science, il faut pourtant rappeler qu'il en existe de plusieurs sortes : sciences abstraites, sciences de la nature, sciences de l'homme, sciences normatives, sciences descriptives, etc... Les premières spéculent à priori, sans tenir compte des réalités expérimentales (mathématiques pures par exemple). Les sciences de la nature (par ex. la chimie) décrivent les phénomènes s'efforcent à en déduire des lois, c'est-à-dire des rapports constants dérivant de la nature des choses. Les sciences normatives (logique, morale, esthétique) fixent les conditions auxquelles il faut s'astreindre pour aboutir à une proposition, une action ou une œuvre valables. Les sciences descriptives (zoologie, botanique) enregistrent les faits et les classent ; ce n'est qu'accessoirement qu'elles cherchent à les expliquer. L'Histoire, science descriptive par excellence, rapporte purement et simplement.

Tout cela est si disparate qu'après beaucoup de discussions, on a renoncé à définir la pensée scientifique par son but, son objet, ses principes, son articulation. La seule chose certaine est qu'on appelle scientifique tout ce qui est rigoureusement observé et rigoureusement raisonné. Comme par ailleurs la pensée rationnelle mène à des impasses, on ne sait plus très bien à quoi se réduit la définition.

Le mieux est sans doute d'en revenir à une vieille maxime d'Auguste Comte : Savoir, c'est prévoir pour agir. La prévision est d'autant meilleure que l'observation des faits sur lesquels on s'appuie est plus complète et plus précise. Il est bien certain que la pensée scientifique est née du désir de prévoir, c'est vrai de la météorologie, de l'économie politique, et par là de pouvoir agir, c'est vrai de toutes les sciences liées à l'industrie.

Si le fait de vouloir prévoir caractérise la pensée scientifique, l' «occultisme» est à coup sûr la plus ancienne et la plus vaste entreprise scientifique. Quant aux méthodes, les sciences occultes diffèrent quelquefois des sciences, en ce qu'elles utilisent aussi des voies para-rationMais les concordances statistiques sont-elles si rationnelles ? La classification des champignons est-elle un monument de pensée déductive? La vertu dormitive de l'opium n'est-elle pas un irrationnel érigé en loi ?

Si c'est sur les résultats qu'on juge, il faut accorder que l'astrologie mondiale
 (1) se trompe moins souvent dans ses pronostics que l'économie politique ou le Deuxième Bureau ; que l'intuition du marchand de tableaux fonctionne mieux que la sociologie esthétique en matière de prévision ; que certaines voyantes célèbres donnent, parmi d'autres choses critiquables, des précisions sur des faits à venir, qu'aucune science, sauf l'astronomie, ne peut donner quant au futur éloigné.

(1)Voir l'astrologie mondiale (M. V.).

Si c'est à la rigueur de la technique qu'il faut juger, alors distinguons surtout l'occultisme brouillon des mages d'occasion, de la discipline d'esprit que supposent en réalité les sciences hermétiques. On ne se fait aucune idée de la mécanique de précision en regardant travailler un charron de village.

 

Résumons la situation : mérite d'être rangé parmi les sciences tout ce qui procède d'une observation rigoureuse. Cette condition suffit puisque la Botanique est une science. En fait, cette condition ne définit que les sciences descriptives. Les « Sciences Occultes » n'entrent pas dans ce cadre, puisque l'hermétisme est surtout une pratique. Dès lors, demandons-nous si une science pratique est également soumise à cette condition : c'est hors de doute. Tout ce qui veut une consécration expérimentale doit s'appuyer sur l'expérience et l'observation rigoureuses. C'est donc un point acquis : nous ne pourrons accorder aux « Sciences Occultes » le nom de sciences, que dans la mesure où elles procéderont d'une rigueur d'observation. Il faut rappeler que cette rigueur comporte la mise en œuvre de tous les procédés véridictoires possibles.

Quant à l'efficacité, nous avons vu que les sciences proprement dites, ou réputées telles, sont souvent au-dessous, du taux de rendement des sciences « occultes ». Il est patent que certain psychomètre de notre connaissance se trompe moins souvent que l'Office National Météorologique. Il est certain aussi que Marianne Verneuil, par la chirologie (et, en m'excusant de cette prise à partie), prévoit mieux les réactions d'un individu placé dans une situation donnée que ne le font les psychologues spécialisés dans la méthode des tests. Quant à l'hermétisme, quelle que soit sa voie, il est certain que sa raison d'être est précisément la connaissance des lois immuables de succession qui, à certains égards, prévoient les rythmes inéluctables de l'évolution. C'est donc un deuxième point acquis : si une science se prouve soit par son efficacité, soit par ses possibilités de prévision, il est des sciences « occultes » qui méritent d'être classées parmi les sciences.

Reste à considérer de plus près la question des méthodes, et d'abord des différences qui existent entre les méthodes scientifiques et les méthodes des sciences « occultes ». La démarche de la pensée scientifique procède, on le sait, d'une succession rythmique d'analyses et de synthèses. Les hypothèses se confirment ou s'infirment. Dans le premier cas on les conserve jusqu'à ce qu'elles s'intègrent dans une théorie et on conserve la théorie jusqu'à ce qu'elle devienne fausse. Le procédé vaut ce qu'il vaut.

Vu de loin, il fait penser à ces jeux dans lesquels celui qui est touché par la balle cède sa place à celuiqui l'a atteint. Mais de près, on remarque qu'à l'inverse de ce qui se passe dans ce genre de jeux, lorsque la partie est terminée, il reste un acquis utile. De sorte qu'à force de se détruire, la science progresse. Ce qu'il ne faut pas oublier de dire, c'est que ce progrès est dû en grande partie à l'intuition, base de l'induction scientifique ce qui mérite quelque détail :

Aristote avait fixé que pour raisonner sans erreur possible, il convient de se limiter à deux opérations mentales exclusivement : la déduction formelle et l'induction formelle. La déduction formelle (dont la forme type est le syllogisme) consiste à tirer d'une proposition générale des cas particuliers (les poissons sont muets, les carpes sont des poissons, donc les carpes sont muettes). L'induction formelle, à l'inverse, remonte de la totalité des cas particuliers vers le fait général (Mon pantalon est gris, mon gilet est gris, mon veston est gris ; donc mon complet est gris). On se contenta de gambader dans ce minuscule escalier pendant quinze siècles, quand la Renaissance vint apporter le goût de la hardiesse. Au lieu d'attendre que l'on connaisse tous les mammifères du monde un à un avant de formuler des lois générales, un jour vint où, dix cas étant connus, on osa penser que tous les cas à venir seraient comme ceux-là (les poules pondent des œufs blancs, les autruches pondent des œufs blancs, les pintades pondent des œufs blancs... tous les animaux qui pondent à terre pondent des œufs blancs).

Le principe de l'induction scientifique était trouvé. Le procédé est enrichissant puisqu'il permet, devant un cas nouveau (je trouve un œuf rose tacheté de vert) de le classer (cet œuf a été pondu dans un nid). Mais il comporte des risques. (N'existe-t-il pas un oiseau inconnu qui ponde au sol des œufs tachetés ?) Aussi longtemps que je ne connais pas l'oiseau coupable, je reste sur mes illusions. Si d'aventure je découvrais un oiseau qui ponde au sol des œufs tachetés, je modifierais ma loi générale. Il n'empêche que, chemin faisant, j'ai appris à connaître mille choses sur les oiseaux et les œufs. De sorte que la pensée scientifique passe sa vie à accumuler des connaissances tout en se livrant à cette gymnastique qui consiste à tirer d'une analogie une loi provisoire, puis à changer cette loi contre une autre à la faveur d'une analogie plus solide.

De leur côté, comment procèdent les Sciences Occultes ? De toutes sortes de façons qui n'ont en apparence rien de commun avec ce qui précède. Dans la voyance par exemple (1), on sait sans savoir comment (et on se trompe sans savoir comment non plus). Cela ne satisfait pas les logiciens, mais les choses sont ainsi. Dans la chiromancie ou les sciences de cet ordre, on procède par analogie ; en astrologie (2) également.


(1)Voir voyance dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).

(2)Voir l'article astrologie dans L’Encyclopédie Ésotérique ; la démarche analogique s'y trouve expliquée dans ce cas particulier. Voir aussi les articles Analogie et Symbole qui traitent de la question en général (M. V.).

S'agit-il donc de cette même analogie qui fonde les découvertes de la science ? Ma foi oui, avec cette seule différence qu'elle le fait à la fois avec moins de méthode et plus de méthode. Les sciences hermétiques appliquent pratiquement l'analogie avec moins de méthode parce que la matière qu'elles manient est infiniment subtile et difficile à préciser, alors que l'anatomie comparée, par exemple, manie des ossements faciles à décrire et à classer. L'analogie entre des concepts ou des états intérieurs se sent plus qu'elle ne se délimite. Pourtant, les systèmes analogiques sont pensés et repensés depuis tant et tant de siècles qu'ils ont fini par prendre une authenticité de fait et une subtilité incroyable, de sorte qu'en fin de compte, le raisonnement analogique des sciences hermétiques est moins rigoureux, mais les systèmes analogiques traditionnels qu'elles utilisent sont infiniment plus justes et plus riches que toutes les analogies sur lesquelles la science assied ses hypothèses provisoires.

Enfin, nous croyons avoir montré avec Pierre Maheu qu'il existe une logique formelle de l'analogie
 (1),grâce à laquelle les vérifications deviennent possibles tout comme en logique déductive. Nous nous empressons de dire que le système ne change rien aux réalités hermétiques : il ne fait que préciser les moyens de procéder à des extensions nouvelles. Car si l'hermétisme utilise la voie analogique, si même il bénéficie des systèmes analogiques traditionnels infiniment plus riches que les hypothèses analogiques des savants ne le seront jamais, si même avec ou sans l'aide de nos recherches personnelles il étend le champ de cette trame précieuse, son but n'est pas limité là. Si toutes les formes d'hermétisme accordent beaucoup d'attention au système analogique qui leur sert de base, ce système n'est qu'un moyen. Comme nous l'avons déjà dit, l'hermétisme est une ascèse. S'il se double d'un appareil théorique, ce n'est que dans la mesure où cet appareil est un outil. Nous reviendrons sur ce point.

(1) Il s'agit de la Symbolique formelle. Nous en esquissons quelques principes au mot Symbole dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).


Ce qu'il est important de bien voir, c'est la divergence de la démarche scientifique et de la démarche hermétique, puisque telle est la question que nous nous étions posée. La pensée scientifique pêche les analogies au hasard des expériences ; dès que le pressentiment d'une analogie a donné la possibilité de renouveler les hypothèses, on ne s'en occupe plus et on se consacre à mettre l'hypothèse à l'épreuve du monde extérieur, matériel. La pensée hermétique, au contraire, part d'une expérience humaine, la poursuit et la perfectionne en prenant pour guide le réseau analogique qui résume en quelque sorte la structure du monde. Comme en ce qui concerne la structure profonde de l'univers, l'hermétisme en sait prodigieusement plus que les amateurs du monde extérieur, il arrive incessamment qu'un tel amateur se sauve avec la clef et aille fonder une boutique scientifique nouvelle, ce qui n'amoindrit nullement l'hermétisme, dont la richesse est inépuisable.

Historiquement, en effet, les sciences « occultes » sont la pépinière et le berceau des sciences proprement dites : la chimie est née de l'alchimie, l'astronomie est née de l'astrologie, etc... Plus près de nous la graphologie, la physiognomonie, puis la chirologie viennent de quitter « occultisme » pour s'ériger en sciences. Cela revient à dire que tous les domaines « occultes » recèlent un moyen objectif, donc objectivable. Certes ce n'est pas le fait d'avoir mis ce noyau dans la forme exigée par l'esprit contemporain qui lui confère une valeur... Ce n'est pas parce que la psychanalyse redécouvre la mythologie que la mythologie acquiert une valeur nouvelle ! Du moins, le fait qu'il y ait passage des « Sciences Occultes » aux sciences proprement dites mérite d'être retenu dans le cadre de la question que nous avons posée.

Quand la chimie a été abstraite de l'alchimie
 (1), elle a connu un perfectionnement et une extension énormes... c'est-à-dire que, spécialisant aux domaines matériels et pratiques les rudiments d'un formulaire qui avait de toutes autres ambitions, la chimie s'est consacrée toute à préciser les articulations moléculaires. De son côté, l'alchimie est restée le langage symbolique propre à une ascèse ; elle n'a absolument pas bénéficié des progrès de la chimie parce que la prestidigitation moléculaire est rigoureusement étrangère à ses buts. Mais alors que le chimiste en fin de carrière est aussi avancé qu'au début quant à sa réalisation personnelle et la solution des grands problèmes métaphysiques, l'alchimiste atteint à cette Réalisation qui répond à tous les grands problèmes fondamentaux. Qu'est-ce que cela prouve ? Que l'alchimie, système de référence à usage ascétique, contenait par surcroît le principe de la structure moléculaire du monde extérieur et que, de son point de vue, comme aussi de celui de tous les sages, cela ne présente pas un grand intérêt.

(1)Voir au mot Alchimie dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).

Les structures du monde sont inexprimables parce que cachées, en ce sens que la Connaissance résulte d'une Participation et que le fruit de cette Participation est incommunicable (voir ci-dessus). Les expressions les plus rapprochées de ces structures sont analogiques. De ces expressions analogiques, on peut extraire une autre expression doublement approximative, qui est logique et quantitative : l'expression scientifique. Celle-ci est précise et temporaire ; périodiquement, elle doit rajuster son tir en puisant à nouveau à la source analogique.

Quand, grâce à la « langue bien faite » de la science, le savant dit : « Je comprends », cela veut dire que le fait examiné entre dans le cadre des théories provisoirement en vigueur. Quand l'hermétiste dit : « Je comprends », cela veut dire qu'il a acquis par participation l'évidence de l'ordre universel. Quand, vingt ans avant la publication des travaux d'Einstein sur la courbure de l'espace, on posa à Ramakrishna cette question : « Maître, si je lance cette pierre avec une force infinie, où ira-t-elle ? » il répondit après un long silence : « Elle reviendra exactement dans votre main ». Le questionneur, un physicien de passage, sourit, amusé, puis prit congé. En le voyant partir, Ramakrishna sourit à son tour.

On pourrait considérer de telles réponses comme des coïncidences, si l'on omettait d'ajouter que Ramakrishna, doté seulement de culture intérieure, répondit aux questions qu'on lui posa pendant plus de trente ans et jamais ne se mit en contradiction avec les données scientifiques les plus postérieures à lui. Il y a des modes de connaissance plus sûrs et plus généraux que la science, c'est tout ce qu'on peut en déduire. Que la science puise de son côté aux sources vives de l'univers, qu'elle construise ses petits systèmes, qu'elle explicite en bien des points ce que la tradition contenait depuis toujours à l'abri des regards peu perçants des profanes, c'est dans l'ordre.

Parmi les essais de reconstruction par la science moderne des matériaux de la Tradition, on peut citer l'aventure de la psychanalyse, aventure très à la mode et à laquelle nous avons déjà fait allusion. La psychanalyse est partie de données expérimentales de la clinique ; accumulant des constatations comparables ou semblables, elle a fini par apercevoir une sorte de permanence des problèmes de l'homme. Puis elle a découvert que ces problèmes avaient déjà été illustrés par des mythes, par le folklore, par l'art. A partir de ce moment, c'est la Tradition qui lui a servi de fil conducteur dans ses recherches expérimentales. Si ce fil conducteur n'avait pas été retrouvé, on peut penser qu'il aurait fallu à la psychanalyse plusieurs siècles pour découvrir les constantes essentielles.

Les sciences « occultes » sont en vérité la science. Les sciences proprement dites sont des langages destinés à rendre compte d'un aspect de la réalité. Aussi les pensées sont-elles une voie de la Connaissance, à l'inverse des secondes. Entre les unes et les autres existe un rapport qu'une comparaison fera peut-être mieux saisir : La musique, née du cri et de la danse, est un fait humain. Comme tous les faits humains, elle évolue, pose aux compositeurs des problèmes sans cesse nouveaux et qui concernent simultanément la sensibilité, l'intelligence et la connaissance expérimentale. De là, on a voulu extraire l'harmonie, science abstraite qui ne mène nulle part. Jamais l'harmonie ne sera une fin en soi. Jamais elle ne donnera à l'homme l'occasion d'une plénitude.

L'occultisme et les sciences proprement dites coexistent comme coexistent la musique et l'harmonie. La seconde aide l'autre de son mieux et progresse dans le vide, mais c'est la première qui renferme la vie et répond véritablement aux questions posées par l'homme.

En résumé, les faits « occultes » sont complexes comme la vie même, dont ils sont un aspect. En considérant les formes scientifiques de la recherche hermétique, on ne rencontre pas une difficulté plus grande que n'en ont rencontré la biologie ou la psychologie. La biologie étudie la vie du corps. Elle observe, note, établit des lois, expérimente, rectifie ses points de vue, aboutit à des lois plus précises et fouille inlassablement les secrets de l'organisme vivant sans jamais découvrir le secret de la vie. La psychologie observe, scrute, érige aussi ses lois et fouille inlassablement le mystère de l'être pensant sans jamais découvrir le secret de la pensée.

Il n'en est pas moins vrai que ces sciences en arrivent à prévoir, donc à agir, et le cours de notre vie organique ou de notre vie psychique peut s'en trouver modifié. Avec leurs domaines plus difficilement accessibles, les sciences « occultes » prévoient, elles aussi ; et le cours de notre vie peut se trouver modifié selon les lois sur lesquelles elles se fondent. S'il est en fin de compte une différence entre le domaine « occulte » et celui des sciences positives, elle ne peut résider que dans la nature des lois mises en jeu, et dans la voie suivie pour découvrir ces lois.


Les lois des sciences occultes sont quelquefois quantitatives, quelquefois même numériques ; ce en quoi elles s'apparentent aux lois des sciences positives. Mais alors que ces dernières s'appliquent, sans y parvenir d'ailleurs, à éliminer tout élément qualitatif, le domaine hermétique le respecte. Bien souvent même ses lois sont purement qualitatives. La magie, la métapsychique, le tarot, ne choisissent pas des unités permettant de mesurer les faits étudiés. La physique, la chimie, au contraire, définissent et mesurent ; mais l'opposition est plus apparente que réelle. La radiesthésie, l'astrologie, la numérologie ont leur système de mesure. Par contre l'Histoire, la Zoologie n'en ont aucun ; la Numismatique non plus, et ce sont pourtant là des sciences proprement dites. La morale, science normative, n'est pas près d'édifier ses lois sur des mesures et des nombres... On chercherait en vain à démontrer finalement que le point de vue quantitatif est l'apanage d'un domaine et le point de vue qualitatif l'apanage d'un autre : le monde entier procède des deux, indissolublement.

Les lois des sciences « occultes » sont, dit-on, moins précises que celles des sciences positives. C'est qu'elles manient du vivant. La psychologie officielle, elle aussi, a des lois moins précises que celles de la biologie, et la biologie en a de moins précises que celles de la physique.

Plus on s'échappe de l'abstrait mathématique ou du matériel pur, plus la complexité vivante s'oppose à la précision absolue.

La science, dit-on, découvre ses lois à partir d'une observation systématique des faits. L' « occultisme », au contraire, les sort toutes faites du « sac-à-malices » de la Tradition, et ne les justifie pas par une expérimentation systématique. Tout cela est trop vite dit. En premier lieu, la science découvre la plupart du temps les choses par hasard. Si, comme le veut la légende, Newton a conçu la loi de la Gravitation Universelle au moment où une pomme lui tombait sur la tête... on ne voit pas là le processus si logique, si déductivement impeccable, si rationnel l Si, comme on le dit aussi, Pasteur a découvert la vaccination pour avoir utilisé des cultures vieillies, qu'un garçon de laboratoire avait négligées par inadvertance, on ne voit pas en quoi le processus de découverte est systématique

Dans la majorité des cas, les grandes idées scientifiques naissent d'une intuition. Ensuite, on aménage le chemin qui relie le fait aux lois antérieurement connues. Et nous nous permettons d'observer que si la Tradition est un sac à malices, l'intuition en est un autre, bien plus ténébreux. Car la Tradition a codifié une expérience ancestrale ; mais elle a laissé au long du chemin un sillage qui permet d'en comprendre la nature. Tandis que l'intuition du savant est, une fois sur deux, mystère à l'état pur.

En second lieu, la science utilise des lois qu'elle n'a pas toujours découvertes autant qu'elle le dit. Pythagore a formulé beaucoup de lois dont les mathématiques s'honorent ; mais on oublie de dire que Pythagore était avant tout un philosophe et un initié, qu'il est bien possible qu'il faille rechercher dans sa culture initiatique l'origine première de ses découvertes. Les lois de Kybalion (Égalité de l'Action et de la Réaction, universalité du mouvement pendulaire, etc...) sont devenues des lois de la physique, et personne ne songe à préciser que ces lois fondamentales ne sont pas nées dans des laboratoires, mais dans des sectes initiatiques... En médecine, on sait que la théorie des signatures (1), sortie tout droit de « occultisme », a abouti à nombre de découvertes valables et secondairement à nombre de lois qui sont aujourd'hui une des bases de l'homéopathie.

(1)Voir au mot Signatures dans L’Encyclopédie Ésotérique (M. V.).

 

Les lois ne sont pas valables parce qu'elles ont été formulées à la suite de ceci, qui est connu, plutôt qu'à la suite de cela, qui est moins clair. Les lois sont valables ou elles ne le sont pas, c'est tout ce qu'on peut en dire. Or les lois de « occultisme », lorsqu'elles sont évidentes, sont tout aussi lois que celles de la chimie. On n'est pas en droit d'exiger d'elles des justifications que ne fournissent pas non plus toujours les lois scientifiques.

Si l'on devait, en tout état de cause, donner sa préférence à l'un des domaines que nous affrontons bien malgré eux, ne faudrait-il pas plutôt accorder sa confiance aux lois des sciences « occultes » qu'aux lois des sciences positives ? Les lois Traditionnelles ne sont-elles pas toujours les mêmes depuis des millénaires, alors que les théories scientifiques se périment tous les cinquante ans ?

Les « sciences occultes » sont-elles des sciences ? En un sens, tout autant que les sciences proprement dites.
 
Comme elles, elles ont pour but (quant à certaines d'entre elles) de prévoir, et leurs prévisions valent bien dans certains cas les leurs. 
Comme elles, elles utilisent concurremment l'intuition et le raisonnement. 
Comme elles, elles expérimentent. 
Comme elles, elles expliquent. 
Comme elles, elles se trompent. 
Comme elles, elles ont une méthode. 
Comme elles, et mieux qu'elles, elles rendent compte de la structure cosmique. 

En plus de ce qu'elles donnent, les « sciences occultes » offrent à l'homme, sinon de charger son cerveau d'acquisitions éternellement révisables, du moins une voie de perfectionnement et de réalisation.

 

Suite ⇒Chapitre III. - Les cinq grands courants dans les Sciences Occultes