— Œil — La représentation de l'œil magique comme pantacle contre le mauvais œil, se rencontre à peu près partout ; il existe sur des médailles byzantines servant d'amulettes sur lesquelles est gravé un œil menacé d'en haut par trois poignards et attaqué par cinq animaux qui sont, en partant du côté gauche, un lion, une autruche, un serpent, un scorpion et un autre lion.

Une intaille du IIe siècle représentait un œil entouré des divinités auxquelles sont dédiés les jours de la semaine. Au-dessus de l'œil se trouve une chouette au-dessus de laquelle se trouvent encore la foudre, un lion, un chien, un scorpion, un cerf et un serpent. On a découvert à Rome un pavage en mosaïque blanche et noire portant cette inscription :

INTRANTIBUS HIC DROS
PROPITIOS ET BASILIÆ
HILARIANÆ


Au-dessus, un œil traversé d'une pique sur le sourcil duquel est posée une chouette et, entouré de neuf animaux s'élançant sur lui, un corbeau. Une colombe, posée sur une branche d'olivier, une chèvre, une lionne, un serpent, un scorpion, un taureau, une autre lionne, un serpent. La paupière de l'œil est peinte en rouge.

En Égypte, l'oeil mystique attaché au bras ou au poignet et portant le nom de «
 Oudja », protège contre le mauvais œil. En Italie, on porte le « vetro del occhio », verre ovale en forme d'œil humain En Perse, on fait dessécher un œil de brebis égorgée le jour correspondant à la fête d'Abraham, est ensuite enfermé dans une boule de verre entourée de cire. Ces boules sont portées par les femmes qui les suspendent à leur cou. Elles les portent parfois aussi dans leurs cheveux.

En Asie Mineure, lorsqu'une maison n'a pas encore été habitée, on y accroche à la porte un œil. En France, on portait l'œil droit d'une belette enchâssé dans une bague pour éviter les dangers de l'aiguillette. On trouve aussi des bagues de fer dans lesquelles sont enchâssés des yeux de loup. A Rhodes, on porte un œil dont le centre est noir et le tour bleu et jaune.

Marquès-Rivière, qui cite ces éléments, à propos des images pantaculaires, n'en donne pas l'explication. D'ailleurs, il n'en faut envisager de générale qu'en tenant compte des autres sens du symbolisme de l'œil. Dans la tradition judéo-chrétienne, on sait que l'œil est un emblème de Jéhovah ; on l'inscrit généralement dans un triangle. Cet oeil de Dieu est traduit classiquement, à l'échelle de l'homme, comme l'œil de la conscience — c'est-à-dire de la conscience morale.

Il s'agit certes d'une conscience morale plus apparentée à la peur du surveillant qu'à la saine philosophie. Et c'est là peut-être qu'il faut chercher le sens général du symbole. La contrainte, c'est
 être vue. Le regard pèse sur celui qui est regardé. Autrement dit, l'image de l'œil est toute désignée pour que l'inconscient y projette son angoisse —son angoisse morale comme les autres, mais souvent sous la forme « peur du châtiment — appel du châtiment ».
Attaquer l'œil-image, le menacer du poignard et le faire dévorer par les animaux, c'est neutraliser l'angoisse par une contre-défense. Les pantacles à l'œil transpercé sont très exactement une défense contre la peur superstitieuse et inexplicable que symbolise le mauvais œil.

Par ailleurs, on sait que la psychanalyse assigne à l'œil la valeur d'un symbole féminin.
Ce sens n'est pas très éloigné de l'autre dans la mesure où la femme est l'occasion du péché et l'instrument de la culpabilité — à telle enseigne que l'ascèse par la chasteté passe pour rapprocher de Dieu et éloigner du Démon ; (les femmes portent des pantacles à base d'œil parce que pour elles
 aussi la féminité est l'occasion de péché — à telle enseigne que les femmes dites « de bien » croient se rapprocher de Dieu en supprimant en elles toute féminité).
Enfin, on sait quelle place importante jouent l'oeil et l'image visuelle dans la conception chrétienne de la décence, de la chasteté et de la concupiscence.

En un mot, l'œil est le support magique de la culpabilité. Tout ce qui amoindrit ou blesse l'œil-pantacle calme l'angoisse. En outre, il faut peut-être attribuer un sens particulier aux différents instruments de cette blessure. Les
 dards atteignant la paupière supérieure sont analogiquement correspondants au regard. Les animaux qui menacent la paupière inférieure (la plus passive et la plus intérieure) correspondent analogiquement aux images intérieures et à la concupiscence imaginative.