Au sein de la société initiatique, le secret n'est pas surajouté : il est fonctionnel.
1. Il est un des éléments de l'action psychologique.
Le secret partagé fournit le ciment de cohésion du groupe. Il est aussi un ferment de coagulation de la personnalité, toujours menacée d'éparpillement, de dévoration par le monde extérieur. L'appartenance à une société, même non initiatique, et qui a ses secrets, déclarés ou implicites, est un chemin vers l'individuation.
Et cela «représente encore pour longtemps dit Jung, la seule possibilité d'existence de l'individu qui, aujourd'hui plus que jamais, se retrouve menacé d'anonymat». Jung dit encore : «De même que l'initié, grâce au secret, s'interdit le retour à une collectivité moins différenciée, de même l'individu a besoin, pour s'accomplir, d'un secret que, pour quelque raison, il ne doit ni ne peut livrer.
Un tel secret l'oblige à s'isoler dans son propre secret individuel [...]. Seul un secret qu'on ne peut trahir soit craint, soit impossibilité de le formuler en paroles descriptives, empêche la rétrogradation au collectif.»
2. Il est consubstantiel à la complexité et aux évolutions subtiles dans la durée, de ce qui est vécu par chacun des membres, en lui-même et dans sa relation avec le groupe.
Une nouvelle et changeante coloration des pensées et des attitudes, dans tous les moments de l'existence, la longue marche dans le labyrinthe de ce que Jung appelle l'individuation, les échanges modificateurs entre le groupe et soi-même, se voir autrement et se voir vu autrement, le sentiment d'une nouvelle relation à soi-même, aux autres et au «tout» : cela constitue à proprement parler une nouvelle vie, inexprimable dans son fond, comme toute vie.
«Considérez la vie des oiseaux et des poissons. Jamais le poisson ne se lasse de l'eau, mais, n'étant pas poisson, vous ne pouvez savoir ce qu'il ressent. Jamais l'oiseau ne se fatigue des bois, mais, n'étant pas oiseau, vous ne pouvez connaître son sentiment. Il en est de même pour la vie religieuse (et initiatique) : si vous ne les vivez pas, vous n'en saisirez rien» (Hojoki, 1212 après J.-C.).
3. Le langage de la société n'est pas transmissible à l'extérieur dans la mesure où il est en constante transformation et en constant élargissement du signifié, en état de perpétuel dévoilement du sens. Son usage ne cesse de solliciter un déchiffrement, sur une gamme infinie de codes progressifs. Il n'existe que dans et par cette dynamique modificatrice. L'expérience, l'étude et la méditation, à chaque étape, le révèlent comme non encore fixé. Et «qui s'arrête se trompe». Ainsi, exposé au-dehors, son contenu s'évapore.
La qualité (on dit la «régularité» : filiation traditionnelle authentique) d'une société initiatique se peut mesurer à ceci, que chaque symbole employé tient ses promesses. Il révèle des sens successifs, complémentaires, ascendants, jusqu'à un sens ultime qui contiendrait organiquement tous les autres et dont le dévoilement marquerait la réalisation parfaite de l'initié.
Cela, bien entendu, si nous admettons que les symboles initiatiques enferment une signification transhistorique qui se situe à la racine de notre existence, de nos connaissances et de nos valeurs.