La tradition ésotérique des Gitans

Contrairement à ce qu'on croit communément, la tradition ésotérique des Gitans n'est pas exclusivement raciale. Il arrive que la tribu prophétique transmette tout ou partie de ses connaissances et de ses pouvoirs à un gadget, c'est-à-dire à un sédentaire, un étranger.

Gitanne disant le Bonne Aventure par Caravage

 

C'est ainsi que, parmi ces Tsiganes d'adoption, on cite un des fils de Jean-Sébastien Bach... et aussi un seigneur beauceron, Charles Grossard d'Ambreville, qui finit d'ailleurs sur le bûcher en punition de “crimes exécrables”. L'historien A. de Barbe affirme que vers 1458, de grands seigneurs furent admis ès bohèmeries, après un temps d'épreuve passé parmi les bohémiens. Barbe cite, en particulier, Xaintrailles, le bâtard de Bourbon, et le baron de Laihre.

Il est bien certain que, au point de vue ésotérique, la civilisation des Gitans est matriarcale.

La Phuri-Dai

Le pouvoir temporel appartient au chef de la tribu, l'autorité spirituelle est dévolue à une femme, la “mère de la tribu” — la Phuri-Daï — choisie grâce à quelque intersigne (ou bien élue), mais non par transmission héréditaire.

Elle est, simultanément, conseillère, marieuse, sage-femme, magicienne, prêtresse. C'est une vieille femme, unanimement respectée (ou redoutée) qu'on nomme Bibi, ma tante. Elle est initiée lors d'une cérémonie occulte à laquelle ne prennent part que des femmes.

Les Tsiganes s'adressent rarement à la justice des gadgets. Quand un différend s'élève entre eux, ils se constituent en tribunal, ou kriss. Seuls les hommes siègent, enquêtent et rendent la sentence ; mais la Phuri-Daï est présente, avec voix consultative. Elle dit la loi des ancêtres et représente la clémence, par opposition à la rigueur des mâles.

C'est aussi la Phuri-Daï qui annonce la naissance d'un nouveau Gitan, en jetant un bol d'eau, consacré par elle, sur les tentes et les verdines (les roulottes). C'est elle qui choisit le nom secret, le vrai nom, de chaque enfant, ce nomen mysticum que les sédentaires doivent ignorer, et qui ne figure donc jamais sur les actes d'état-civil.

La Phuri-Daï n'est pas la seule preuve de l'organisation matriarcale des tribus gitanes. Ce n'est pas la jeune épousée qui entre dans la famille de son mari, mais celui-ci qui, désormais, est intégré dans la famille de son épouse.

Dans les cas (rares) d'exogamie tribale, les enfants adoptent la langue, les coutumes de leur mère et non celles de leur père.

Décadence : le feu

Les Gitans se perdent, se désacralisent, parce qu'ils ne sont plus en contact direct avec leurs totems essentiels, le feu de la forge et le cheval.

C'est autour de la forge que s'accomplissent les rites familiaux : mariage, funérailles, assemblée judiciaire ou kriss. Une série d'interdits éloignent la femme, et surtout la femme impure, du feu de forge.

Une légende balkanique affirme que les quatre clous de la Croix furent forgés par un Gitan métallurgiste. Seul trois d'entre eux fixèrent le Sauveur sur la Croix, mais le quatrième clou devint une épée invincible, appartenant à un khalife de Bagdad.

Ainsi, quand les ultimes forgerons gitans se seront perdus dans la masse anonyme des sédentaires, la tradition du feu métallurgique sera occultée. Il n'y aura plus d'initiés aux mystères de la flamme ; il n'y aura plus, pour ainsi dire, de “francs-forgerons”.

Dans Forgerons et alchimistes, Mircéa Eliade écrit :

“Le forgeron est le principal agent de diffusion des mythologies, des rites et des mystères métallurgistes.”

Et René Guénon écrit dans le Règne de la quantité :

“La métallurgie a, à la fois, un caractère sacré et un caractère exécré [...] Les métaux sont, en quelque sorte, les planètes du “monde inférieur”. Comme les planètes, ils ont à la fois un aspect bénéfique et maléfique. Mais comme il s'agit d'un reflet inférieur, le côté maléfique doit facilement devenir prédominant [...Au point de vue traditionnel, les métaux et la métallurgie sont en relation avec le feu souterrain, dont l'idée s'associe avec celle du monde infernal.”

Le cheval

Chez les Gitans du Caucase, pendant les quelques jours qui suivent l'ensevelissement d'un chef tsigane, on selle le cheval du défunt, et l'on donne à son palefrenier l'ordre de le mener trois fois au tombeau et d'y appeler par trois fois le défunt, en le conviant à dîner.

Le même rite fut célébré à l'enterrement de Bertrand du Guesclin. S'agissait-il alors d'une résurgence d'une croyance celte ?

Les tabous du cheval sont rigoureux ; mêmes mourants de faim, les Gitans ne consomment jamais de viande de cheval, à moins que ce ne soit la carcasse enfouie pendant plusieurs heures d'un cheval mort naturellement.

Chez les gypsies moldaves, la formule de salut est : “Que vos chevaux vivent longtemps.”

Si les rites qui consacrent le pouvoir temporel et magique du chef de tribu restent toujours occultés aux profanes, il n'empêche que des allusions et des contes permettent de croire que le cheval y joue un rôle essentiel. Les précautions que prennent les initiés pour célébrer le rite équin à l'abri des regards indiscrets, leur gêne quand on y fait allusion, l'abondance et la confusion des mensonges sous lesquels ils masquent la vérité, suggèrent qu'il existe une analogie entre le rite d'investiture et un rite celtique, que le chroniqueur Giraud de Cambrie décrit ainsi :

“On amène au milieu de l'assemblée une jument blanche. Le futur roi s'avance et, sous les yeux de tous, fait acte d'étalon. Puis la jument est égorgée, dépecée et ses quartiers sont bouillis dans une eau avec laquelle on prépare un bain au roi. Il s'y plonge et dévore un morceau de la chair chevaline.”

Il est avéré que les Gitans se livrent à l'hippomancie. Ils posent mentalement une question à leur cheval favori, et celui-ci répond, soit en hennissant, soit en remuant la queue ou l'un de ses membres.

Ce qui rappelle le récit d'Hérodote : Darius fut désigné comme roi des Perses parce que les mages avaient prédit :”Sera roi celui dont le cheval hennira le premier, à l'aube.”

Ouvrages à consulter :

Block (J.) : les Tziganes (Paris, “Que sais-je”, 580).

Eliade (M.) : Forgerons et alchimistes (Paris, Flammarion, 1961).

Clébert (J.-P.) : les Tziganes (Paris, Arthaud, 1961).

Yates (D.) : À Book of Gypsies Folk Tales (Londres, 1948). Traditions, coutumes, légendes des tziganes Chalderachs (Paris, La Colombe, 1959).

Mariel (P.) l'Europe païenne au xx' siècle (Paris-Genève, La Palatine, 1964).

Sources :
Histoire des Personnages Mystérieux & Des Sociétés Secrètes - Sous la direction de Louis Pauwels
Dictionnaire des Sociétés Secrètes en Occident - Sous la direction de Pierre Mariel
Dictionnaire pratique des Sciences Occultes – Marianne Verneuil