— Enfer — D'une manière générale, l'enfer désigne un lieu de tourments où les méchants subiront, après cette vie, la punition due à leurs crimes. La notion d'enfer est très générale, cependant, elle s'habille bien différemment selon les temps et les civilisations.

Dans la mythologie des Druses, les apostats et déserteurs du culte d'Hakem seront exposés, après la fin, aux plus durs supplices. Tous leurs aliments auront un goût de fiel. Ils porteront un bonnet de poil de cochon haut d'un pied et demi ; et, aux oreilles, des anneaux pesants brûlants en été et glacés en hiver.

Chez les Grecs, on sait que les morts étaient sensés se rendre aux lieux souterrains pour y être jugés par Minos, Éaque et Rhadamanthe. Pluton était Dieu et roi des Enfers, qui s'étendaient sous notre continent et se divisaient en quatre régions :

1°) L'Erèbe avec les Palais de la Nuit, du Sommeil et des Songes. Cerbère, les Furies et la Mort s'y trouvaient, parmi ceux qui étaient morts sans les honneurs de la sépulture.

2°) L'Enfer des méchants, où le Remords dévorait ses victimes, qui étaient d'autre part soumises au froid des lacs glacés et aux ardeurs de la flamme

3°) Le Tartare, prison des Dieux, entourée d'un triple mur d'airain et soutenant les vastes fondements de la Terre et des Mers.

4°) Les Champs Élysées, lieux où séjournaient les bienheureux après avoir obligatoirement traversé l'Erèbe.

Pour les Juifs, l'enfer est également un lieu de supplices — la Géhenne, selon les Talmudistes. Au jour du Jugement, les justes seront aussitôt destinés à la Vie éternelle, les méchants à l'Enfer ; les mitoyens descendront dans l'enfer avec leur corps et pleureront pendant douze mois, montant et descendant, allant à leur corps et retournant en enfer. Après ce temps, leur corps sera brûlé ainsi que leur âme, et le vent les dispersera. Seuls les hérétiques, les athées, les tyrans seront voués à la géhenne éternelle. Au surplus, chaque année, au premier jour de Tisni, Dieu fait une sorte de révision des registres. Pour les Romains, l'Enfer était divisé en sept parties habitées par les catégories suivantes de morts :
1°) les enfants mort-nés ;
2°) les innocents condamnés à mort ;
3°) les suicidés ;
4°) les amants parjures et les amantes infortunées (champ des Larmes) ;
5°) les héros cruels ;
6°) les deux dernières parties étaient le Tartare et les Champs Élysées avec les mêmes acceptions que dans la mythologie grecque.

Pour les Gaulois, l'Enfer était
Mutin, lieu abominablement froid, sombre et terrible, inaccessible aux rayons du soleil et infesté d'insectes venimeux, de reptiles et de loups. Les grands criminels y étaient enchaînés dans-des cavernes et plongés dans un étang plein de couleuvres, brûlés par le poison qui distillait sans cesse de la voûte ; les moins coupables — ou même les gens inutiles, ceux qui n'avaient eu qu'une bonté négative, résidaient au milieu de vapeurs épaisses et pénétrantes. De cet enfer froid des Celtes, il faut rapprocher l'enfer chrétien des Lapons, tel du moins que les Évangélistes en ont répandu la notion : c'est aussi un lieu infiniment froid.

Suivant le Coran, l'Enfer a sept portes (ou sept degrés, selon les commentateurs) ayant chacune son supplice et sa clientèle :

1°)
Gehennem, pour les adorateurs du vrai Dieu qui, par leurs fautes, auront mérité d'y tomber.
2°)
Ladha, pour les chrétiens ;
3°)
Hodhama, pour les Juifs ;
4°)
Sair pour les Sabiens ;
5°)
Sacar, pour les mages ou gnèbres ;
6°)
Gehin, pour les idolâtres ;
7°)
Haoviat, pour les hypocrites. Pour d'autres docteurs musulmans, les sept portes correspondent aux sept péchés capitaux — ou encore aux sept parties coupables du corps (les yeux, les oreilles, etc...). Cet enfer est rempli de torrents de feu. L'eau y est soufrée et amère, etc...

Les Shintoïstes, au Japon, ne reconnaissent pour les méchants que le tourment d'errer sans cesse autour d'un lieu de délices habité par âmes vertueuses sans jamais pouvoir y entrer. Les Siamois admettent-neuf lieux de malheur dans des abîmes profonds, mais n'en croient pas les supplices éternels. En Virginie, on a cru longtemps en un enfer situé vers l'Occident au bout du monde, et constitué d'une fosse profonde remplie d'un feu dévorant, etc..., etc...

La nature des supplices est en rapport avec les besoins dominants des peuples comme nous l'avons vu pour les Celtes et les Lapons, avides de chaleur. Les Talapoins (Laos), enseignent que les méchants seront punis par la privation de femmes et, quant aux femmes criminelles, qu'elles seront mariées à des vieillards répugnants. Dans le Mississipi primitif, on croyait que les âmes coupables iraient dans un pays malheureux où il n'y aurait point de chasse. En Floride, on pense que les âmes des méchants seront exposées, dans les montagnes du Nord, à la voracité des ours, etc...

Quant à la situation géographique de l'Enfer, nous avons vu, qu'elle était, pour les Grecs, souterraine (à une distance du sol égale à celle qui sépare le sol du ciel). Toutefois, l'enfer n'est pas toujours souterrain. En Floride, les primitifs le situaient sur les montagnes, dans les neiges éternelles ; en Afrique (royaume de Bénin), les nègres placent l'enfer en un endroit de la mer ; les nègres de Juida le situent au contraire sur la terre — en un endroit qu'ils ne connaissent pas.

Il est curieux de remarquer que les Grecs, bornant la Terre aux rochers de l'Atlas et aux plaines de l'Espagne, placent avec Homère l'entrée de l'enfer aux confins des ténèbres, c'est-à-dire à l'extrémité de l'Océan. Xénophon y fait entrer Hercule par une porte située près d'Héraclée (en Grèce). D'autres en ont placé l'entrée sous le Ténare boisé et obscur, Ovide notamment. D'autres ont situé le Styx en Arcadie, parce que cette région contient des marais dont l'exhalaison est mortelle.

Encore que la notion d'enfer s'explique assez facilement selon les directives de la psychanalyse collective, on voit que cette notion est façonnée différemment par chaque arrangement archétypique local. Alors que pour nous l'analogie entre le Mal, le Noir, le Souterrain, est de valeur symbolique constante, on voit qu'il n'en est pas ainsi pour toutes les civilisations.

Comme nous le disions par ailleurs, au sujet des diables, qui sont noirs chez les peuples blancs et quelquefois blancs chez les noirs, il peut y avoir inversion complète de la symbolique d'un cas à l'autre. Ce fait, qui complique la question de l'Analogie, offre l'avantage d'éclairer singulièrement par comparaison le processus psychologique et magique d'une religion donnée.

L'enfer chrétien, qui nous intéresse plus particulièrement, procède comme les autres d'une projection. Une certaine exégèse publie d'ailleurs aujourd'hui qu'il faut le considérer symboliquement — ce qui est une fausse piste du point de vue chrétien : dans la mesure où la religion du Christ est fondée sur un complexe d'auto-punition et le parti pris d'une culpabilité originelle, il faut que l'enfer existe et continue d'exister dans l'inconscient collectif ; à défaut de quoi l'homme sera obligé de se punir lui-même sur terre, peut-être en se détruisant collectivement.

La notion d'enfer est appelée à rester valable jusqu'à ce que la civilisation occidentale ait opéré sa libération de la notion du péché. A ce titre, l'école de Lombroso, puis celle de Freud, ont ouvert des portes utiles ; celle de Marx a permis un transfert sur le mythe du collectif ; mais il reste un long travail à faire, qui s'opérera exactement en son temps.

Un dernier point à signaler. Les mythologies font rarement une place aux animaux dans les enfers. Font cependant exception un certain nombre de cas. Les Kalmouks ont un enfer pour les bêtes de somme et celles qui ne s'acquittent pas bien de leurs devoirs ici-bas sont condamnées à porter dans l'autre monde les fardeaux les plus pesants. Certaines mythologies africaines comportent une croyance du même ordre, mais tout cela reste très anthropocentrique.

Seules les religions orientales ayant subi l'influence de la philosophie bouddhique intègrent quelquefois l'homme dans la série animale. Malgré le degré relativement élevé des meilleures de ces religions, la prépondérance de l'homme est manifeste, Cela tient à ce que si les hommes arrivent à consciencialiser le cosmocentrisme de l'aventure humaine, il reste toujours au fond de l'inconscient un mythe de l'anthropocentrisme qui se projette dans les constructions collectives de l'esprit. L'étude des démons est particulièrement typique à cet égard (voir ce mot).