Originairement, la Charbonnerie (ou Carbonaria) est un compagnonnage. Comme les autres associations de compagnons, elle se conformait à des rites initiatiques, traditionnels.

Mais, au XIXe siècle, la Charbonnerie est devenue une société secrète politique, ou, pour mieux dire, “activiste” et de ce fait a perdu son authenticité fondamentale. Cependant, il semble qu'il y ait, en ce moment, un retour aux sources.

Dans son Aperçu sur l'initiation, René Guénon écrit : “Quant au carbonarisme, on constate, d'une part, qu'il est impossible de lui assigner une origine historique et, d'autre part, que ses rituels présentent nettement le caractère d'une initiation de métier, apparentée comme telle à la Maçonnerie et au compagnonnage.

Mais, tandis que ceux-ci ont toujours gardé une certaine conscience de leur caractère initiatique, il semble bien que le carbonarisme ait poussé finalement la régénérescence à l'extrême, au peint de n'être plus rien d'autre, en fait, qu'une association de conspirateurs politiques...

Les origines

Comme nous venons de le voir, ses origines sont mythiques, comme celles de toutes les sociétés initiatiques authentiques. Il en existe plusieurs versions, qui ne se contredisent qu'en apparence, mais qui, en fait, se complètent.

C'est ainsi que Victor-Emile Michelet écrit dans les Secrets de la chevalerie : Parallèlement au sacre de Reims où le roi renouvelait le pacte conclu entre Clovis et Saint-Rémi au nom des communes autonomes des Gaules, il y avait un pacte secret où le roi devait revêtir un habillement symbolique fourni par les corporations.

Quoi qu'il en soit, le Beaucéant (la bannière de sable et d'argent de l'ordre du Temple), bien longtemps après l'occultation des templiers, figurait à ce sacre secret. Il était arboré par les corporations qui s'intitulaient frères charbonniers.”

Légende ou historicité ?

Quand les charbonniers entrèrent-ils dans l'histoire ? Plusieurs hypothèses ont été émises. Voici la version de Heron Lepper, dans son ouvrage fondamental, les Sociétés de l'Antiquité à nos jours :

Durant les troubles qui éclatèrent en Écosse du temps de la reine Isabelle, beaucoup de gens cherchaient dans les forêts un refuge contre la tyrannie. Ils s'y occupèrent à la fabrication du charbon de bois et, sous couleur de vendre leurs produits, s'introduisirent dans les villages où ils communiquèrent avec leurs partisans.

Ils habitaient, dans la forêt, des cabanes (barache) de forme allongée et se donnèrent une constitution et des lois. Leur gouvernement était une sorte de triumvirat en fonction pour trois années et présidant trois venditas : l'une législative, l'autre administrative et la troisième judiciaire.

Cette dernière se nommait Yalta vendita. Les ventes étaient divisées en un certain nombre de cabanes, édifiées chacune par un bon cousin. Dans la forêt s'était retiré un ermite, Théobald, qui se joignit aux carbonari. François Pr, roi de France, chassant sur les frontières de son royaume, proche de l'Écosse (!), s'égara dans la forêt.
Il demanda un abri dans une barache et fut bien reçu. Initié, il s'institua le protecteur des bons cousins charbonniers. Rentré en France, François I" tint parole et la société, par la suite, couvrit l'Allemagne et l'Angleterre.”

La mention du roi François Pr semble assigner au carbonarisme une origine française, d'une province dont les habitants ignoraient la distance entre la France et l'Écosse. D'autre part, la mention de l'Écosse fait peut-être remonter cette légende à la période de franc-maçonnerie française où le mot “Écosse” conférait une estampille de mystère et de respectabilité.
Voici une variante de la légende relative à François Ier chassant en val de Loire. Il tombe fortuitement sur une cérémonie rituelle des charbonniers. Il demande à subir les épreuves, ce qui lui est immédiatement accordé.
Le roi s'étant, par inadvertance, assis sur le billot servant de trône au président de la cérémonie — ou Père-Maître —, celui-ci l'en délogea en prononçant la phrase passée à l'état de proverbe :
— Charbonnier est maître chez soi !


Dans les sylves du Jura

J.-M. Ragon donne une version différente :

Les forêts du Jura étaient habitées et exploitées par des charbonniers qui, ainsi, se trouvaient séparés, par leur état,
des autres hommes. Ces forestiers retombaient à l'état sauvage et se rendaient redoutables dans le pays. 

Un curé imagina de civiliser ces barbares et, pour exécuter ce bienfaisant projet, conçut le plan d'une société mystérieuse, dite des frères charbonniers, dans laquelle furent admis non seulement ces charbonniers, mais des bourgeois des villes voisines.
Ces rustres, flattés d'être associés à des personnes de considération, se soumirent facilement aux règlements civilisateurs de cette nouvelle société et, par ce moyen adroit, on parvint à rendre à la société des hommes presque sauvages.”

Le Chantier du Globe et de la Gloire

Il existe un évident parallélisme entre la Charbonnerie et la franc-maçonnerie. Ces deux groupements ont évolué de la forme opérative à la forme spéculative, c'est-à-dire du métier à l'abstraction.
Voici dans quelles circonstances, en France, la Charbonnerie perdit son caractère primitif pour devenir une réunion de nobles et de bourgeois :

Aux environs de 1750, le chevalier de Beauchesne (ou de Beauchaine) introduisit en France les rites de la Charbonnerie forestière. Son rituel provenait des forêts du Bourbonnais où des nobles proscrits avaient trouvé refuge, puis avaient été initiés par des bûcherons, pendant les troubles qui marquèrent les règnes de Charles VI et de Charles VII.

Jusqu'à la Révolution, cette fenderie, plus ou moins urbanisée, connut un grand succès et vit se confondre dans ses rangs la Cour et la Ville. Déguisés en croquants, avec sabots aux pieds, “initiés et initiées” s'y livraient aux plaisirs de la bonne chère et aux éclats d'une grosse gaieté. On y jargonnait et l'on se tutoyait en s'affublant de surnoms campagnards.”

Le lieu de réunion se nommait Chantier du Globe et de la Gloire. Il était installé dans un parc du quartier de La Nouvelle-France (actuellement faubourg Poissonnière), à Paris.

Beauchesne, le Père-Maître, tenait ses pouvoirs de M. de Courval, grand-maître des Eaux et Forêts du comté d'Eu. En 1766, Beauchesne soucha sur ce “chantier” une loge maçonnique, sous le titre distinctif de la Constance et l'Amitié dont il s'arrogea le titre de Vénérable (président) ad vitam.

Ce fut la première fusion connue entre la Charbonnerie et la Maçonnerie. Elle fut suivie de beaucoup d'autres, au point que, sous la Restauration, ce fut la Charbonnerie qui infléchit la Maçonnerie vers une action politique et sociale, dont l'actuel Grand Orient est le représentant.

Dans la tourmente révolutionnaire, la Charbonnerie spéculative disparut et sembla avoir été complètement oubliée.

Sous la Restauration

La Charbonnerie ne se réveilla, en France, qu'aux environs de 1820, sous l'impulsion de Benjamin Buchez, et surtout de Buonarotti.
Les rituels importés à Paris provenaient de ventes italiennes, car la Carbonaria était très active en Italie du Sud.

Elle préparait l'unification de la péninsule et il suffit de lire la nouvelle de Stendhal, Vanina Vanini, pour en comprendre le rôle politique.
Les rituels importés étaient limités à un seul grade, donc incomplets, car la Charbonnerie authentique était fortement hiérarchisée. C'est ce qui explique sans doute sa prompte dégénérescence en tant que groupe initiatique.

Devenue plus ou moins société secrète politique (comme l'a écrit René Guénon) elle joua un rôle prépondérant dans les nombreux troubles qui se succédèrent de 1815 à 1835. Puis elle se fondit dans d'autres associations exclusivement politiques.
Buonarotti tenta de lui redonner son caractère authentique en créant la Charbonnerie Démocratique Universelle, qui n'eut qu'une existence éphémère. Mais elle resta bien vivante en Italie.

Il semble qu'elle renaît actuellement de ses cendres, pour couvrir de son autorité spirituelle des groupuscules politiques d'extrême-gauche. Il y avait un parallélisme curieux entre ces doctrines et le Livre rouge de Mao Tsé-toung. Faut-il y voir une preuve de l'interprétation des sociétés secrètes d'Extrême-Orient avec leurs homologues d'Occident ?

Organisation, mots de passe, etc.

Si, en France, la Charbonnerie ne comportait qu'un seul grade, donc une seule initiation, elle n'en était pas moins fortement hiérarchisée selon un cadre administratif. Il y avait des ventes simples, des ventes centrales, une vente suprême, etc.

Voici quelques-uns des “secrets” qui ont été découverts lors d'enquêtes de police :

Les mots Speranza et Fede jetés comme par hasard dans un entretien, le mot de Carita articulé par syllabes séparées que se partagent les interlocuteurs en les proférant alternativement étaient les mots de reconnaissance des “bons cousins” (ainsi se nommaient les affiliés).

Leur signe de ralliement était l'échelle. On le faisait en élevant les deux mains à la hauteur des épaules, ensuite en les laissant retomber perpendiculairement le long du corps, mais en ayant soin de figurer les deux montants d'une échelle. Ensuite, on relevait les mains à la hauteur de l'estomac et on formait ainsi, avec les bras, un barreau d'échelle. Ensuite, les bons cousins frappaient cinq coups avec le majeur selon cette cadence : I, II, II.

Pour entrer dans la vente, les mots de passe étaient : “Honneur ! Vérité ! Patrie !”

À quoi il était répondu :

“Espérance ! Foi ! Charité !”


 

Ouvrages cités ; ouvrages à consulter :

Guénon (R.) : Aperçu sur l'initiation (Paris, Études Traditionnelles, 1946).

Michelet (V.-E.) : les Secrets de la chevalerie (Vega, Paris, s.d.).

Lepper (H.) : Sociétés secrètes de l'Antiquité à nos jours.

Stendhal : Vanina Vanini (Paris, I-II, “la Pléiade”, Gallimard).

Baylot (J.) : la Voie substituée (Liège, 1968).

Mariel (P.) : les Carbonari (Paris, C.A.L., 1971).

 

Sources :
Histoire des Personnages Mystérieux & Des Sociétés Secrètes - Sous la direction de Louis Pauwels
Dictionnaire des Sociétés Secrètes en Occident - Sous la direction de Pierre Mariel
Dictionnaire pratique des Sciences Occultes – Marianne Verneuil