La formation spontanée de bandes parmi les enfants et les adolescents de tous les milieux est l'un des plus importants phénomènes sociologiques contemporains.
Toute bande est une société secrète, puisqu'elle n'a d'existence et de raison d'être que par opposition au monde des adultes auquel il s'agit d'accéder ou qu'il s'agit de concurrencer par des moyens et des valeurs radicalement différents de ceux que celui-ci prévoit et propose.
Empoigné par un puissant besoin d'accéder à la virilité, mais en même temps retardé dans cette accession et frustré de tout ce qui à ses yeux représente le mieux cette virilité (idéal désintéressé, courage physique, honneur, vie d'équipe...).
Le jeune garçon se rallie instinctivement à ses pairs pour rechercher avec eux le moyen de pallier cette frustration, fût-ce en utilisant toutes sortes de substituts symboliques (initiations difficiles et douloureuses, tatouages, délits, affrontements avec d'autres bandes, destructions gratuites et provocatrices, etc.), toutes activités qui sont clandestines, puisqu'elles sont réprimées par la société.
La bande est extrêmement temporaire. Elle se dénoue aussi vite qu'elle se noue : au hasard, à l'apparition ou à la disparition d'un meneur, d'un lieu de réunion propice, d'une bataille gagnée ou perdue. De plus, la plupart sont mal structurées et ne possèdent aucune tradition.
Sur ce substratum qui touche, plus ou moins profondément, presque tous les adolescents, se greffent pourtant en certains cas des groupements supérieurement organisés. Presque toutes les énormes agglomérations connaissent de ces bandes dont les chefs et les membres peuvent changer, mais dont le nom, les traditions et les lieux d'implantation demeurent.
C'est ainsi qu'à New York ou à San Francisco, on connaît des “Dragons”, des “Vautours”, des “Anges de l'enfer”, des “Longs-Cheveux”, des “Harpes” ; à Paris, la bande de Saint-Lambert (toujours démantelée et toujours reconstituée).
La bande des “Pirates” de New York, avec sa junte de quatre chefs spécialisés, chacun dans une sphère de commandement, son lieu fixe de réunion (un perron facilitant l'identification de la hiérarchie), son uniforme (bottes, blousons, ceinturons, gourmettes identiques), son organisation des liaisons, son armement clandestin, ses traditions diplomatiques ou belliqueuses face aux autres bandes, constitue un exemple extrêmement révélateur.
Mais le plus intéressant est l'existence d'une véritable caste de novices, constituée par les plus jeunes appelés les “voyous”.
Initiation
Ceux-ci se soumettent d'enthousiasme à un entraînement sévère pour avoir le droit d'être membres à part entière. Un des chefs, le “spécialiste de criminologie”, conduit à une “campagne” après minuit ceux qui doivent recevoir le baptême du feu. En même temps, ces sorties dangereuses constituent un test pour mettre en lumière les penchants du néophyte à “canner”. Le temps d'initiation obéit lui-même à un rituel extrêmement précis : tatouage des poignets, costume approchant, mais n'imitant pas celui des durs, coupe particulière des cheveux (cette coupe et le surnom du chef aux résonances féminines traduisent l'ambivalence sexuelle qui est le propre de la condition de “voyou”, seul l'initié pouvant faire étalage d'une virilité complète). C'est seulement après son noviciat et une dernière épreuve, souvent douloureuse, que le néophyte pourra prendre l'uniforme complet et s'entendre dire la bienheureuse parole : “C'est bon, tu es de la bande !” On pourrait nier le caractère de société d'un tel groupement, en alléguant le fait qu'il ne poursuit aucun but ou qu'il poursuit des buts purement négatifs. Ce serait une erreur, car le projet de faire échec sous toutes les formes à l'autorité constituée est déjà en soi une finalité d'importance capitale (sur laquelle la société ne se trompe pas). Mais il s'y ajoute un élément positif essentiel qui est pour les membres de la bande l'accession à la virilité. En ce sens, nous sommes bien en présence de sociétés spécifiques initiatiques absolument typiques.
Sexualité des bandes d'adolescents
Les sociétés à buts sexuels peuvent utiliser des jeunes (par ruse, force ou appât du gain dans 95 % des cas), elles n'en feront pas des adeptes. C'est l'adulte et non l'adolescent qui est obsédé par le sexe. La présence des filles dans les bandes est d'ailleurs tout à fait révélatrice. Il arrive qu'elles servent au délassement du guerrier, mais sans que cela leur confère la moindre importance. Dans la majorité des cas, elles sont respectées et traitées comme des garçons. Dans la bande de Duke Tomboy, les filles sont initiées, tatouées et frappées à coups de ceinture mouillée comme les garçons. Elles ont ensuite des droits égaux et parfois supérieurs. Il arrive même que ce soit une fille qui soit le chef de bande ou le premier lieutenant du chef.
Voir aussi : Sociétés Secrètes d'Adolescents, Scoutisme et totémisme.
Sociétés Secrètes Initiatiques