— Verbe — Dans la tradition égyptienne, rien n'existe avant d'avoir reçu son nom à haute voix. Le nom prononcé éveillait les forces du Ka (voir au mot Double), était l'agent de la synthèse de la personnalité. Aussi se servait-on du nom pour toute opération magique bénéfique ou maléfique. Dans la crainte de ce danger, les Égyptiens cachaient généralement leur vrai nom et se faisaient connaître par un surnom. L'invocation du nom mettait l'invocateur en possession de toutes les forces du Dieu Thot, magicien par excellence. Mais il fallait que les mots prononcés le soient avec l'intonation juste : le charme du verbe n'agissait qu'à cette condition.

Le verbe,
stricto sensu, est le mot qui, dans la phrase, indique l'action — c'est-à-dire les rapports relatifs du sujet et des compléments. Le verbe exprime les rapports, c'est-à-dire la structure de l'univers. Plus exactement, le verbe-rapport existe en dehors de nous et bien avant que nous le pensions : il est, analogiquement, le verbe incréé. Dès qu'il apparaît à la conscience claire, c'est-à-dire dès que le rapport préexistant virtuellement dans l'harmonie universelle nous est révélé, dès que nous appréhendons par conséquent cette harmonie universelle, tout se passe pour nous comme si le verbe se mettait à exister : il devient analogiquement le verbe créé.

En soi, le verbe est donc à la fois la substance et la structure de l'univers. C'est pourquoi, analogiquement,
il était au commencement. Mais ces rapports constituant le inonde (voir l'article Analogie) ont été vécus par l'homme (et par les animaux et par les choses) bien avant que nous le conceptualisions. Aussi peut-on dire que les ténèbres de l'inconscient ont reçu sa lumière sans l'identifier. Le verbe a été créé le jour où Dieu a malicieusement mis l'arbre de la science à la portée de l'homme. Hélas ; avec notre cerveau à casiers et notre dialectique, le verbe est longtemps resté lettre morte. Il fallait que l'homme en vînt à assumer le verbe, qu'il l'absorbât sans analyse et qu'il fît partie de lui-même.

Autrement dit, il fallait que le verbe s'incarnât. Hélas ! Il ne suffit pas de digérer le verbe une fois pour participer définitivement : il faut nous en nourrir — ce que représente la communion chrétienne catholique. A cette condition, nous pouvons retrouver par participation cet univers fait de rapports harmoniques dont le verbe est à la fois la substance et la structure. Et parce que la substance de l'univers est partout, elle coïncide avec Dieu. Le verbe est donc Dieu.

Certains traducteurs de la Bible préfèrent au mot verbe le mot Parole (Notamment Luther.). L'idée est la même mais, sous cette forme, elle exprime mieux la vertu orale du mot — pour ce que le mot non-écrit ignore « la lettre » et la mort par la lettre. Le mot prononcé, transmis oralement, garde sa vie — et Plotin a formulé à cet égard des choses définitives. Dans certaines régions de Bretagne, au lieu de dire qu'on a baptisé un enfant, on dit qu'on l'a « nommé ».

Tout cet état de choses, qui n'aurait pas d'intérêt en soi, nous explique l'attitude des Anciens devant le mot prononcé (car les Égyptiens ne sont pas les seuls à croire à la vertu du mot et du nom. La magie l'utilise encore de nos jours). Les mots exprimant des choses, c'est-à-dire des rapports définissant les choses, étaient venus oralement du fin fond de l'histoire, puis leur origine se perdait dans la nuit des temps.
N'était-il pas valable de présumer qu'en remontant cette filière jusqu'à sa source, on trouverait l'essence des choses, les grandes forces elles-mêmes dont la parole est l'écho lointain ? Et l'idée d'utiliser un son semblable, exactement semblable à l'écho pour réveiller par résonance ces forces elles-mêmes, n'est-elle pas toute naturelle ? (Voir aussi au mot Logos.)