— Sabbat —

 

Le mot de Sabbat vient de l'hébreu Schabbat, qui signifie repas. Le sabbat des Juifs correspond au nom du jour de ce repos, notre samedi (espagnol : sabado) ; sabt, en arabe : le septième.

 

La nature humaine vit selon un cycle qui lui impose après chaque jour une nuit, après chaque semaine, une trêve. Analogiquement, le sabbat est la nuit de la semaine. Ce qu'en démonolographie et sorcellerie on appelle Sabbat, est la nuit d'un cycle encore supérieur, aussi le mot s'écrit-il avec une majuscule ; aussi la chose comporte-t-elle dans le luxe de son détail, une explicitation du symbolisme de la nuit. (Voir au mot Sorcières).

 

On a dit sur le Sabbat plus qu'il n'aurait fallu en dire. Plus exactement, il serait préférable de s'entourer de renseignements puisés à la source d'une démonologie officielle, œuvre de moines naïfs enregistrant avec aussi peu de déformations que possible, ce qui s'est dit du Sabbat depuis le début des temps historiques jusqu'à la Révolution.

 

En effet, les « occultistes » de la fin du XIXe siècle, avec leur insupportable manie de confondre : tradition, littérature et ésotérisme, ont, suivant leur tendance, dramatisé ou amplifié les choses. Ce qui est plus grave, c'est qu'ils ont instauré un ordre dans un faisceau de croyances aussi indéfini qu'infiniment riche et cette limitation vide de sens ce que la notion de Sabbat pouvait représenter de foisonnement libératoire.

 

Selon Stanislas de Guaita, par exemple, le Sabbat se déroule selon un ordre parfait : la sorcière invoque le diable au fond de son chaudron et c'est quand la lueur y apparaît que le Sabbat commence.

Pendant que des légions de sorcières zèbrent le ciel de leurs trajectoires hallucinantes, la flamme grandit et les invocations continuent, puis, Maître Léonard apparaît, grandit, fait surgir au-dessus de l'assemblée sa haute silhouette de huit pieds.

Il porte trois cornes au front et répand une odeur épouvantable par l'haleine autant que par tout son corps. La sorcière se jette à genoux et l'assistance s'incline respectueusement en attendant de pouvoir présenter les salutations officielles, c'est-à-dire d'embrasser Maître Léonard sur les fesses.

 

Celles-ci ne sont pas velues ni déplaisantes puisqu'elles figurent au contraire deux visages frais et charnus dont le baiser est charnellement savoureux. Puis on présente à Léonard la vierge apeurée qu'une sorcière a amenée, ligotée sur sa monture, pour le sacrifice.

Maître Léonard contemple la victime nue aux cheveux défaits, puis les sorcières s'affairent à l'oindre d'onguents destinés à l'animer d'une ardeur sensuelle infernale. Il se passe encore bien des choses avant que Maître Léonard consomme le sacrifice, ou plutôt qu'il en ouvre l'ère, car la frénésie devient générale à un moment donné de la cérémonie.

 

Cette dernière comporte le moment où l'on creuse une fosse, où sera recueillie l'urine fétide du bouc infernal dont les assistants s'oindront et feront large provision. Il y a les excréments de Léonard. En un mot et sans allonger inutilement ce long rituel, on voit qu'il donne l'impression d'épuiser toutes les turpitudes selon un ordre concerté.

 

En réalité, le Sabbat ne serait pas le Sabbat s'il y régnait un ordre ; et c'est une des raisons qui font qu'il échappe à toute description, si du moins on en respecte l'authenticité. Le Sabbat, avons-nous dit, est la grande nuit, comme le samedi est la nuit de la semaine. Il détruit par analyse et doit être étudié analytiquement, ce qui est conforme au symbolisme de Saturne, autre Maître du samedi.

 

C'est l'analyse qui permettra aux forces de jour de construire, tout comme la psychanalyse des rêves de la nuit, permet de reconstruire l'activité de jour d'une manière plus féconde. Le Sabbat est un faisceau de détails. C'est chacun de ces détails qu'il convient d'étudier et non la cérémonie comme telle.

 

En nous excusant d'avoir donné beaucoup d'importance à cet attendu théorique qui nous paraissait nécessaire, nous regrettons de ne pas pouvoir, dans les limites de cet ouvrage, procéder à l'analyse de détails que nous venons de préconiser : notons, par exemple, des traits comme celui-ci : avant de procéder au sacrifice, Léonard fait un signe pour qu'on éloigne les enfants, et ces derniers, en troupe compacte, vont se promener dans les champs, faire paître les crapauds qui portent, dit-on, cape de velours vert, soie écarlate et sonnettes au cou. Ils ont été baptisés et se dirigent vers la mare aux diables.

 

Qui ne reconnaîtrait dans cette image, le second baptême par l'eau du diable des enfants de chœur représentés par les crapauds. Les enfants portent à la main la houlette blanche, ce qui n'est pas un attribut démoniaque ; il faut donc supposer que cette expulsion des enfants correspond à ce que le principe du mal réserve à la fécondité évolutive.

 

Beaucoup de mal pour un peu de bien, beaucoup de luxure pour un peu de lumière, telle est la loi naturelle (lux : lumière ; luxus : luxe ; luxuria : luxure). Le second baptême n'est pas un baptême d'eau, car la mare est celle du diable signe de feu. Autrement dit, ce sont les forces fécondes de la nuit qui, indirectement, conduisent les enfants de l'Église vers la vraie vie, par le baptême du feu. Alors que le centre de la cérémonie semble être tout autre que ce point crucial de l'aventure de l'homme.

 

Les crottes de Léonard sont aussi des sous-produits dignes d'examen ce sont les forces destructives de la nature que les démonologues ont supposé être des poisons, des aphrodisiaques, des sels de stérilité, etc. etc. la foule des participants se précipite sur ces inestimables trésors en apparence bien dangereux. Mais, en fait, ne s'agit-il pas d'armes de progrès ? La stérilité de l'ascèse, l'amour, la mort, ne sont-ils point quelques-unes des clefs du grand mystère ?

 

Dans ces exemples, comme dans tous ceux qu'on pourrait prendre (le chaudron, l'urine, le chant du coq), il convient évidemment de ne pas prendre les symboles pour des récits, ne pas oublier que l'interprétation symbolique est souvent inverse. Tous ces points sont d'ailleurs examinés au sujet du symbolisme (voir ce mot).

 

Pour terminer, nous croyons indispensable de satisfaire la curiosité du lecteur en affirmant que, comme tous les mystères valables, le Sabbat n'est pas seulement un mythe : il y a eu des Sabbats. Sous prétexte de préparation, les inféodés organisaient de petits Sabbats ; de temps à autre, on en organisait de plus étendus auxquels Léonard n'assistait pas nécessairement, car Léonard, son nom l'indique, est le petit Lion, c'est-à-dire le roi, et personne n'aurait prétendu à l'inviter à des réunions préparatoires.

 

Au cours de ces dernières, il est en tout cas avéré qu'on éprouvait l'efficacité des poudres magiques (hallucinatoires), des onguents aphrodisiaques, de toute boisson alcoolisée tenant lieu d'hydromel, etc...

 

En résumé, Bacchus y était fêté, tout comme aux saturnales dont le nom n'est d'ailleurs pas sans analogie avec celui du Sabbat. De ces séances, chacun se retirait précipitamment au lever du jour, hébété et saturé. Quant au grand Sabbat, il est le résultat et la projection de ce qui s'était ébauché dans les petits et imaginé en les préparant. Comme dans maintes chapelles initiatiques contemporaines, l'adepte était voué à ne voir que des demi-maîtres, à la faveur desquels il se pouvait tenir pour certain qu'il existait un grand... quelque part.