— Monstres — L'antiquité avait fait place dans sa mythologie à de nombreux personnages monstrueux : Andromède, Cadmus, Chimère, Circé, Egeste, Egide, Glaucus, Harpies, Hésione, Phèdre, Sirènes, qui étaient plus ou moins des projections des problèmes humains — des complexes humains dans ce qu'ils peuvent avoir de monstrueux. Parce qu'ils sont projection, ils ont de la part des hommes droit à une sorte de tolérance reconnaissante, sinon amicale. Il en va tout autrement des monstres qui naissent naturellement parmi les hommes, car ceux-là dérangent l'ordre naturel et ne peuvent être interprétés que comme des signes.

D'une façon générale, les croyances populaires ont attribué la naissance des monstres à la fécondation de succubes ou par des incubes, mais ont en général admis que la femme ait pu être trompée de bonne foi sur la qualité de son partenaire.

Par contre, ce que l'inconscient tolère dans la légende est l'objet de sa réprobation dans les faits — ou supposés tels : de tout temps, on a colporté la nouvelle de la naissance des monstres mi-homme mi-chien, ou mi-porc mi-homme ou toute autre combinaison, vraisemblablement imputable au crime de bestialité ; invariablement l'enfant est, dit l'histoire qui court, étouffé par la mère sous le matelas, ou subit un sort tragique du même ordre.

Cette projection a plus de « réalité » pour l'imagination que la projection mythologique, usée par le temps. Puis elle correspond à un souci (et par conséquent à la liquidation d'un problème) moral, alors que les Dieux et héros vivent généralement sur des normes trop différentes des nôtres pour pouvoir être comparés à nous.

Le problème que soulève l'attitude vis-à-vis de l'existence des monstres est intéressant en ce qu'il pose trois données précises et que nous résumerons :

1°) Les monstres
 réels soulèvent la réprobation et font suspecter l'intervention du démon.

2°) Les monstres
 inventés, procédant d'accouplements monstrueux, soulèvent une apparente réprobation mais on continue à en colporter l'histoire comme si elle répondait à un secret besoin.

3°) Les monstres de
 légende sont considérés comme des manifestations nécessaires des forces de trouble qui sont, en fin de compte, partie intégrante de l'évolution du monde.

Cette confrontation permet de délimiter ce qui, d'une part, est humain (et à quoi on ne pardonne que difficilement l'humiliation d'un « raté »), de ce qui, d'autre part, est mythique, et qui a sa fonction acceptée.