— Lucifer — Le Prince des Anges (de Lux lumière, et ferre, porter), devenu le chef des infernales cours et surnommé l'Ange des Ténèbres, par sa rébellion et son orgueil qui lui interdisaient de se mettre au-dessous du trône de Dieu.

Lucifer, foudroyé par Dieu, est le grand justicier de l' enfer, il préside à l'orient. Beau comme devait l'être le prince des anges, plein de charme, d'intelligence et de séduction, il était invoqué et nommé avant tout autre monarque infernal par les sorcières qui s'adressaient tout particulièrement à lui le lundi.

Il est évident que la lumière portée par Lucifer a une valeur symbolique. Notamment, c'est de la lumière de l'intelligence qu'il s'agit et l'on donne généralement l'épithète de luciférien au péché d'orgueil déguisé sous une habileté mentale. Ce n'est pas là le seul sens qu'on attribue ordinairement à ce prince des démons, mais on le fait abusivement : quelques précisions sont nécessaires sur ce point.

1°) Lucifer, Prince des Anges, porte la lumière : c'est-à-dire que près du trône de Dieu, symbole de l'existence universelle (l'Être Suprême), Lucifer est la conscience de cet être et du même coup, l'accession à Dieu par la consciencialisation. On comprend, à partir de là, que ce symbolisme ramené aux dimensions de l'individu passe de l'élément luciférien à la prise de conscience du Moi avec le risque d'égotisme que comporte cette opération.

2°) Lucifer cesse d'être Prince des Anges à partir du moment où il trouve dans sa conscience la « raison suffisante » de son existence. En transposant le symbolisme, cela veut dire que l'individu limitant l'existence à son Moi commet le péché majeur envers Dieu (ou le principe universel ou la substance primordiale, etc...). Mais à partir du moment où l'individu, par une déviation de la conscience aidée du pouvoir d'illusion que renferme l'intelligence, se suffit de son moi, ou accorde à ce dernier une existence. Il commence à connaître l'angoisse. Analogiquement, la place de Lucifer est dès lors en enfer, mythe de projection de l'angoisse humaine.

3°) A partir de ce temps, Lucifer cesse de porter son nom, il devient Satan (c'est-à-dire en hébreu : l'ennemi). En toute rigueur, le péché lui-même est donc satanique ; c'est le risque du péché — la tentation — qui est luciférien.

4°) Cette idée de tentation, fondamentale dans le dogme judéo-chrétien, a présidé aux nombreuses transformations déjà signalées de tous les Dieux païens doués de facilité, d'aisance ou d'ampleur en diables variés. Lucifer, prince de la tentation, devait avoir quelque rapport avec Vénus, déesse du charme. La mythologie nous montre cette filiation de toutes sortes de façons, par exemple : le temple de Tartenus, dédié à Vénus, avait été érigé, selon Strabon, en l'honneur de
Phosphoros Ieron, que les commentateurs ont généralement traduit par Lucifer. C'est notamment l'interprétation qu'en donne Voltaire (pour cet auteur Lucifer correspond à Phosphore et Aurore). Par exemple encore, l'étoile que nous appelons maintenant Vénus s'est appelée Lucifer pendant toute l'Antiquité.

A la lumière de ces quelques remarques, on peut conclure que le mythe luciférien s'apparente moins au péché d'orgueil pris dans un sens moral qu'au risque métaphysique de non-consciencialisation. On comprend aussi que du point de vue du dogme chrétien, il était nécessaire de confondre en un seul personnage Lucifer et Satan et pourquoi la gnose fut considérée par l'Église comme le plus grand des sacrilèges.

Enfin, on comprend pourquoi le tandem mythique Lucifer-Vénus comporte, si l'on en dégage tout le point de vue moral et dogmatique, sa fécondité nécessaire. Pour illustrer cette conclusion d'une dernière considération, on peut remarquer que Dieu est Amour et Sagesse ; ces deux attributs correspondent respectivement à Vénus et Lucifer qui, réunis, constituent le maître-attribut de Dieu, qu'oh peut aussi appeler Manifestation. Dieu ne peut se manifester que moyennant un risque, et ce risque constitue la vie avec ses deux attributs mineurs : la conscience et l'amour, écho du maître-attribut divin.

Nous ajouterons encore que, pendant l'ère du Père, où il n'a été parlé que de la sagesse de Dieu, puis l'ère du Fils, pendant laquelle l'accent a été mis sur l'amour de Dieu, les dogmes devaient laisser occulte la signification du symbole luciférien. Il est certain que la conscience de la chrétienté n'en est pas encore à pouvoir considérer que les risques inhérents à la manifestation soient inscrits dans l'ordre divin et soient à ce titre digne du même amour que l'ensemble de l'Être suprême.

Il fallait (comme nous le développons à propos du
Saint-Esprit) que l'humanité projette l'angoisse procédant du risque métaphysique sur les notions du Bien et du Mal. La désoccultation de ces mythes et des personnifications correspondantes — annoncée d'ailleurs par les Écritures — s'opérera à la conjonction du Divin et du Manifesté, conjonction qui s'opérera dans le concret dans la troisième ère placée sous le signe du Paraclet.