Mythologiquement, le Destin est allégoriquement représenté par une femme la Destinée.

Née du Chaos, elle a aux pieds le globe terrestre et tient dans les mains l'urne qui contient le destin des hommes. On croyait ses arrêts irrévocables et son pouvoir si grand que tous les autres dieux lui étaient subordonnés. On
admettait plusieurs Destins.

Cette pluralité des destins possibles semble contradictoire en soi ; du moins constitue-t-elle une sorte de liberté relative qui met en cause la valeur de toutes les sciences divinatoires. La notion de
Fatum, telle que l'Orient l'envisage quelquefois (le Mec-Toub' arabe) traduit un déterminisme plus absolu, mais sans évincer toutefois une part de liberté individuelle. Essayons, en quelques lignes, de fixer cette importante question.

Lorsqu'on considère une jeune plante mais qu'on ne possède aucune connaissance en arboriculture, on ne sait dire ni si elle est appelée à pousser vite, ni quelles seront ses caractéristiques futures. Un jardinier, au contraire, affirmera : « Cette plante-là, dans deux ans, mesurera trois mètres, elle aura des fleurs telles et telles, mais peu de fruits », etc...

On peut risquer des prédictions analogues sur les êtres humains : « Ce petit-là deviendra un homme sérieux... un tel ne fera jamais cela... », etc... C'est que tous les êtres, par leurs dispositions biologiques et psychologiques élémentaires, ont des aptitudes à devenir ceci ou cela. Sans intervention extérieure, sans coup de barre de la volonté, sans mainmise d'une autorité de rencontre, ils deviendront ceci ou cela.
Ce devenir élémentaire peut être appelé le
Destin N° 1.

A supposer qu'on dise à un individu : « Vous fumez trop. Vous risquez des accidents », cet individu peut n'en tenir aucun compte et s'abandonner à son
Destin N°1. Mais il peut aussi cesser de fumer et éviter lesdits accidents. La volonté personnelle peut donc changer le destin — ou la volonté d'une autorité extérieure, comme dans le cas du malade soumis au médecin ou de l'enfant soumis à ses parents. La conscience, celle du sujet ou celle des autres, a donc le pouvoir de créer un nouveau destin.

Ce destin rectifié par la conscience peut être appelé le
Destin N° 2. Il mérite le nom de destin et n'échappe pas pour autant au déterminisme général, puisque l'aptitude au redressement volontaire, les rencontres avec la révélation et influences étrangères, etc... sont inscrites à titre de possibilités dans le Destin N° 1.

Le
Destin N° 3 procède d'une considération beaucoup plus complexe une image nous la fera saisir. En mathématiques, on admet qu'un phénomène est soumis aux lois générales de la probabilité lorsqu'il est conditionné par plus de quatre facteurs prépondérants indépendants. C'est-à-dire qu'à l'échelle humaine, l'enchaînement des causes et des conséquences n'apparaît avec clarté que dans des limites étroites.

De même, dans l'ordre des faits humains, les prédispositions bio-psychiques d'une part, les interventions volontaires d'autre part, ne constituent qu'une petite part des influences qui interviennent dans une vie. C'est dire que la vie telle qu'elle se déroule en fait est la résultante à la fois des prédispositions bio-psychiques personnelles, des interventions volontaires, des courants collectifs, des faits sociaux, des coordonnées générales d'une civilisation, des courants épidémiques, etc... C'est la résultante de tous ces facteurs qui correspond au
Destin N° 3.

Quant aux rapports qu'entretiennent ces trois destins, ils sont faciles à comprendre. Voici un homme, vivant au dix-neuvième siècle en milieu chrétien. Ses prédispositions bio-psychiques indiquent qu'il a le goût de l'aventure et des voyages, une forme d'esprit qui le rend accessible à la pensée arabe et orientale, un foie déficient ou vulnérable. Le fait qu'on lui révèle ces caractéristiques est aussi inscrit dans le
Destin N° 1 s'il est bien lu.
Il rencontrera effectivement l'occasion de partir en Orient et s'intéressera à la civilisation arabe — tout en évitant les excès et les imprudences parce qu'il sait avoir le foie fragile.
Le
Destin N° 3, depuis l'origine comportait la suite de l'histoire, à savoir que notre homme est atteint par la fièvre jaune, en dépit de toutes ses précautions. Il en meurt. En fait, cette mort était indiquée dans son Destin N° 1 et, à ce titre, on peut remarquer qu'il n'y a aucune différence entre la mort naturelle et la mort accidentelle.

Les animaux qui sentent leur fin prochaine ont les mêmes comportements, que cette fin soit médicale ou violente. Les hommes, eux aussi, ont, dans quelques cas privilégiés, la prescience de leur mort, qu'elle soit tout à fait accidentelle (prémonitions de soldats au front) ou naturelle (l'attitude du malade qui « ne s'en sortira pas »). Encore que tout le monde n'ait pas la faculté de ressentir à l'avance ce qui va se produire, il faut admettre que cette prescience purement inconsciente est inscrite quelque part et peut s'exprimer par des signes. D'une manière générale, le caractère naturel ou accidentel des événements d'une vie ne modifie en rien la manière dont ces événements s'inscrivent dans l'inconscient individuel et cosmique et dans les signes qui les manifestent.

En résumé, le
Destin N° 1 est un destin brut, tel qu'on pourrait, avec une science adaptée et suffisante, le prédire à partir de signes bio-psychiques à un animal sauvage parce que, pour lui, le nombre de facteurs est plus limité parce que, du fait de l'absence de conscience, il est soumis à son Destin N°3 qui coïncide donc en quelque sorte avec son Destin N°1. Le Destin N°1 comporte en outre des signes révélateurs du Destin N°3, mais ces signes sont d'interprétation ardue parce qu'ils résument les influences et interventions venant modifier le Destin N°1 au sein duquel il est inscrit.

Le
Destin N°2 est celui que forge l'individu avec l'aide de sa conscience.

Enfin, comme même avec l'aide de sa conscience, l'homme n'échappe pas à son destin d'animal cosmique, le
Destin N° 3 correspond à la résultante. On peut le connaître d'avance, si l'on applique des dons particuliers d'intuition à l'interprétation des signes mantiques — surtout si l'on procède à cette interprétation en se maintenant sur un plan extra-psychologique, cosmique en quelque sorte ; à défaut, ce Destin N° 3 correspond à ce qu'on sait après, ce qu'en termes de temps, on appelle le passé une fois la comédie jouée.

Sur la manière dont ces trois destins interviennent dans la
voyance, voir l'article consacré à ce mot et à ce phénomène.