... C'est alors que le mystère de la
vie musulmane, de sa mission, de ses énergies expansives, qu'accompagne une sorte d'imperméabilité, revenait
dans notre conversation, comme un leitmotiv, qui trouble et qui hante. Je lui disais :
— Puisqu'il t'est donné de vivre dans
ce pays et de pouvoir, par tes fonctions, mieux que tout autre, pénétrer dans l'intimité des habitants,
profites-en pour analyser leurs dispositions, leurs vices, leurs coutumes, leur savoir, leurs ignorances.
Montre-nous les rouages secrets de ces mécaniques intérieures. Nous ignorons les vrais mobiles qui les fait
agir et comment il se trouve que nous ayons sur eux si peu d'action...
— On
serait bien étonné d'apprendre que la magie et la sorcellerie comptent encore tant d'adeptes parmi
eux.
Et, mon camarade me l'assurait, les
doctrines que j'avais exhumées dans le Satanisme et la Magie (un volume paru d'abord chez Léon Chailley)
étaient encore en vigueur chez maintes peuplades musulmanes.
— Écris ce livre, lui disais-je ; tu rendras un fier service aux orientalistes d'abord, comme
aux psychologues, …….
Les années passèrent ; j'allai en
Égypte rejoindre des amis qui devaient avec moi partir pour l'Inde. De son côté, Mauchamp allait être appelé à
parcourir l'Arabie Pétrée, la Syrie, l'Asie Mineure, enfin le Maroc, …..
Notre causerie resta féconde ; c'est
au Maroc surtout qu'il réalisa le projet, que nous avions ensemble prémédité. Pendant les heures que laissaient
libres les séances du dispensaire, les visites aux indigènes, les explorations, il colligeait les documents
qu'il devait réunir plus tard sous ce titre «La Sorcellerie au Maroc» et qui, aujourd'hui, paraissent
enfin.
La tâche ne fut pas aisée ; la
sorcellerie, la magie, se plaisent à l'obscurité ou au moins aux demi-ténèbres ; elles y gagnent un prestige
qui a lui-même quelque chose de mystique et de mystérieux.
Dans ses lettres à ses parents, Mauchamp fait, plusieurs fois, allusion à son procédé d'enquête. Il leur
écrivait :
«J'ai depuis quelque temps, en ce
moment même, un brave sorcier, auquel j'arrache ses secrets pour la documentation de l'ouvrage que je me
propose de publier plus tard. Comme je ne sais si je pourrai le retrouver, je ne le lâche pas ; il est dur à la
détente» (1).
(1) Une
note, que je crois bon de citer intégralement, nous initie aux détails de la petite mise en scène nécessaire
pour extirper les confidences dont ce livre est la synthèse :
«Ce sorcier était dur à la détente, écrit M. Henri Guillemin, ainsi que d'autres musulmans interrogés ! Il ne
fallait pas qu'ils vissent le docteur écrire leurs réponses à ses questions : sans cela ils auraient gardé le
mutisme le plus complet. Pour se rappeler leur conversation, il avait imaginé ce stratagème. Assis de cité ù
une faible distance de sa table de travail, tout près de ces gens qu'il regardait en face, et muni d'un crayon
avec lequel il semblait jouer tout en causant, il jetait nonchalamment sur un cahier d'écolier posé sur la
table, les principaux points de chaque remède. Ensuite, il encerclait d'un trait les plots épars qui lui
serviraient, une fois seul, à reconstituer chacune de ces recettes absolument fantastiques... avec lesquelles,
en ajoutant nombre d'observations médicales, il a pu composer un recueil de près de 400 pages.
»
Le livre du Dr Mauchamp nous apporte
la révélation, la plus complète et la mieux «vue», du Maroc mystérieux, de ses coutumes, de ses croyances, de
sa vie intime...
Nous retrouvons dans ces bribes de
sorcellerie, dans ces recettes de «bonnes-femmes», qui sentent la méchanceté, la luxure et le crime, les
notions d'une très ancienne métaphysique, les souvenirs lointains d'une des plus belles civilisations du
monde.
Fez fut célèbre autrefois, comme
centre de religion, d'université, de philosophie et de science.
Jules BOIS dans son introduction du
livre.